TITRE : Magick - Partie I - Remarques préliminaires
Auteur : Aleister CROWLEY
Traduction : Phillipe Pissier
Copyright: © O.T.O & Blockhaus & le Traducteur


REMARQUES PRELIMINAIRES

 

L'existence, telle que nous la connaissons, est pleine de tristesse. Pour ne citer qu'un détail mineur : tout homme est un criminel condamné à la peine capitale, mais ne connaissant pas la date de son exécution. Cela nous déplaît à tous. Par conséquent, chaque homme fait tout son possible pour différer la date, et sacrifierait tout ce qu'il a pour révoquer la sentence.

Pratiquement toutes les religions et philosophies ont démarré aussi crûment : en promettant à leurs adhérents une récompense telle que l'immortalité.

Aucune religion n'a péché par insuffisance de promesses ; la dissolution actuelle des religions est due au fait que les gens ont demandé à voir les garanties. Les hommes ont même renoncé aux importants avantages matériels qu'une religion bien organisée peut conférer à un Etat, plutôt que de souscrire à la fraude et au mensonge, ou même à n'importe quel système qui, sa culpabilité n'étant pas avérée, se trouve néanmoins dans l'incapacité de prouver son innocence.

Etant plus ou moins insolvables, la meilleure chose que nous puissions faire est d'à nouveau attaquer le problème sans idées préconçues. Commençons par douter de tous les énoncés. Cherchons une manière de soumettre toute assertion à l'épreuve expérimentale. Y-a-t-il quelque vérité dans les prétentions des diverses religions ? Examinons la question.

Notre difficulté première est due à l'énorme richesse de notre matériel. Entrer dans un examen critique de tous les systèmes serait une tâche sans fin; le nombre de témoignages est trop élevé. Or, chaque religion est également affirmative, et chacune réclame la foi. Nous la lui refuserons en l'absence de preuves indiscutables. Mais nous pouvons utilement chercher à savoir s'il n'est pas un point sur lequel concordent toutes les religions : car, si c'est le cas, il semble possible qu'il soit digne d'une réflexion réellement approfondie.

On ne le trouvera certainement pas dans le dogme. Même une idée aussi simple que celle d'un être suprême et éternel est niée par un tiers de la race humaine. Les légendes relatives aux miracles sont peut être universelles, mais en l'absence de preuves démonstratives, elles répugnent au bon sens.

Mais quelle est l'origine des religions ? Comment se fait-il que l’affirmation improuvée ait si fréquemment forcé l'assentiment de toutes les catégories humaines ? N'est-ce pas là un miracle ?

Il y a, toutefois, une forme de miracle qui se produit assurément, l'influence du génie. Il n'existe pas d'analogie connue dans la Nature. On ne pourrait même pas imaginer un " super chien " transformant l'univers canin, tandis que dans l'histoire de l'humanité, ceci arrive régulièrement et fréquemment. Maintenant, nous avons trois " super-hommes ", tous en conflit. Qu'y a-t-il de commun entre Christ, Bouddha, et Mahomet ? Existe-t-il un point sur lequel ils soient tous trois en accord ?

Pas un point de doctrine, ni un point de morale, ni leur théorie de " l'au-delà ". Et néanmoins nous relevons dans l'histoire de leurs vies une identité parmi de nombreuses diversités.

Bouddha naquit Prince et mourut mendiant.

Mahomet naquit mendiant et mourut Prince.

Le Christ demeura inconnu jusque longtemps après sa mort.

Une vie détaillée de chacun fut rédigée par les dévots, et il y a une chose commune à toutes trois - une omission. Nous ne savons rien du Christ entre douze et trente ans. Mahomet disparut dans une grotte. Bouddha quitta son palais, et s'en alla passer une longue période dans le désert.

Chacun d'entre eux resta parfaitement silencieux jusqu'au moment de sa disparition, et immédiatement à son retour commença à prêcher une nouvelle loi.

Cela est curieux au point de nous inciter à vérifier si les histoires des autres grands maîtres confirment ou contredisent cette tendance.

Moïse mena une vie tranquille avant son meurtre de l’Égyptien. Il s'enfuit alors au pays de Madian, et nous ne savons rien de ce qu’il y fit, quoique immédiatement à son retour il bouleverse le pays tout entier. Plus tard, également, il s'absente plusieurs jours sur le mont Sinaï et en revient portant les Tables de la Loi.

Saint Paul, lui aussi, après ses aventures sur la route de Damas, resta de nombreuses années dans le désert d'Arabie, et à son retour renversa l'Empire Romain. Dans les légendes des sauvages, nous retrouvons encore ce même phénomène universel; quelqu'un qui n'est rien de spécial s'absente pour une période plus ou moins longue et revient comme le " grand homme-médecine " ; mais personne ne sait au juste ce qui lui est arrivé.

En faisant toute déduction possible pour la fable et le mythe, nous nous trouvons en présence de cette coïncidence. Ceci ne peut s'expliquer par aucune des voies habituelles.

Il n'existe aucun élément permettant de soutenir qu'ils furent dès le départ des hommes exceptionnels. Mahomet aurait difficilement conduit un chameau avant ses trente-cinq ans s'il avait eu quelque talent ou ambition. Saint Paul avait plus de talent inné ; mais il est le moindre des cinq. Pas un ne semble avoir possédé aucune des fournitures usuelles du pouvoir, telles le rang, la fortune ou l'influence.

Moïse était plutôt un homme important en Égypte avant son départ ; il revint comme un simple étranger.

Christ n'est pas parti en Chine épouser la fille de l'Empereur.

Mahomet n'a pas amassé des richesses ni réuni des troupes d'assaut.

Bouddha n'a pas consolidé quelque organisation religieuse.

St Paul n'a pas intrigué avec un général ambitieux.

Tous revinrent pauvres ; tous revinrent seuls.

Quelle était la nature de leur pouvoir ? Que leur survint il durant leur absence ?

L'histoire ne nous aidera pas à résoudre le problème, car l'histoire est muette.

Nous n'avons que les récits de ces hommes eux-mêmes.

Il serait remarquable de s'apercevoir d'une concordance entre ces récits.

Des grands maîtres que nous avons cités, Christ est muet ; les quatre autres nous disent quelque chose ; certains plus, d'autres moins.

Bouddha entre dans des détails trop compliqués pour que nous les abordons ici ; mais pour l'essentiel il s'attaqua d'une manière ou d'une autre à la force secrète du Monde et la maîtrisa.

En ce qui concerne les expériences de Paul, nous ne possédons qu'une allusion faite en passant, selon laquelle il fut " Projeté au Ciel, et y vit et entendit des choses dont il n’est pas permis de parler. "

Mahomet affirme crûment avoir été "visité par l'Ange Gabriel", qui lui communiqua des choses venant de " Dieu ".

Moïse dit qu'il " contempla Dieu "

Aussi diverses que soient ces affirmations à première vue, toutes s'entendent à relater une expérience du genre qu'il y a cinquante ans on aurait dite surnaturelle, qu'aujourd'hui on qualifierait peut être de spirituelle, et qui dans cinquante autres années possédera un nom adéquat à une certaine compréhension du phénomène survenu.

Les théoriciens n'ont pas été à court d'explications ; mais elles divergent.

Le Mahométan affirme que Dieu existe, et qu'il a réellement envoyé Gabriel avec des messages pour Mahomet : mais tous les autres le contredisent. Et de par la nature même de l'affaire, la preuve est impossible.

Le manque de preuves a été si durement ressenti par la Chrétienté (et dans une moindre mesure par l'Islam) que de nouveaux miracles furent fabriqués presque quotidiennement afin de consolider l'édifice chancelant. La pensée moderne, refusant ces miracles, a adopté des théories impliquant l'épilepsie et la démence. Comme si l'organisation pouvait naître de la désorganisation ! Même si l'épilepsie était la cause de ces grands mouvements qui ont fait surgir civilisation après civilisation de la barbarie, cela ne formerait qu'un argument pour cultiver l'épilepsie.

Bien sûr, les grands hommes ne se conformeront jamais aux normes des petits, et celui dont la mission est de bouleverser le monde peut difficilement échapper à l'étiquette de révolutionnaire. Les lubies d'une époque fixent toujours les modalités de l'abus. La lubie de Caïphe était le judaïsme, et les Pharisiens lui dirent que Christ " blasphémait ". Pilate était un romain loyal; face à lui, ils accusèrent Christ de " sédition ". Lorsque le Pape avait tout pouvoir, il était nécessaire de prouver qu'un ennemi était " hérétique ". Progressant aujourd'hui vers une oligarchie médicale, nous tentons de prouver que nos adversaires sont " fous ", et (dans les contrées puritaines) d'attaquer leurs " mœurs ". Nous devons donc éviter toute rhétorique, et tenter d'examiner sans préjugé aucun les phénomènes qui survinrent à ces grands guides de l'humanité.

Rien ne nous empêche de supposer que ces hommes eux même ne comprirent pas clairement ce qui leur advint. Le seul qui explique entièrement son système est Bouddha, et Bouddha est le seul à ne pas être dogmatique. Nous pouvons aussi supposer que les autres estimèrent imprudent d'expliquer trop clairement les choses à leurs disciples ; Saint Paul fit à l'évidence ce choix.

Notre meilleur document sera donc le système de Bouddha ; mais il est si complexe qu'aucun aperçu rapide ne servirait ; et dans le cas des autres, nous n'avons pas les récits des Maîtres mais ceux de leurs disciples immédiats.

Les méthodes recommandées par tous ces gens offrent une ressemblance saisissante. Ils prônent la " vertu " ( de divers type ), la solitude, l'absence d'émoi, la modération dans l’alimentation, et enfin une pratique que certains nomment prière et d'autres méditation ( les quatre premières s'avèrent à l'examen n'être que des conditions favorables à la dernière ).

En enquêtant sur le sens de ces deux choses, nous nous apercevons qu’elles ne font qu'une. Car quel est l'état de la prière ou de la méditation ? Il s'agit de la restriction de l'esprit à un seul acte, état, ou pensée. Si nous nous asseyons calmement et examinons le contenu de notre esprit, nous nous apercevrons que même dans ses meilleurs moments ses principales caractéristiques sont vagabondage et distraction. Quiconque a déjà eu affaire à des enfants ou à des esprits non-entrainés en général sait que cette fixité de l'attention n'est jamais présente, même lorsqu'il y a une forte intelligence et de la bonne volonté.

Si donc, avec nos esprits bien entraînés, nous nous décidons à contrôler cette pensée errante, nous nous apercevrons que nous sommes à peu près capables de laisser trotter la pensée au-travers d'un canal étroit, chaque pensée reliée à la dernière de façon parfaitement rationnelle ; mais si nous tentons de stopper ce flux nous remarquerons que, loin d'y réussir, nous ne faisons que briser les digues du canal. L'esprit débordera, et au lieu d'une chaîne de pensées, nous aurons un chaos d'images confuses.

L'activité mentale est si intense, et semble si naturelle, qu'il est difficile de comprendre comment quelqu'un eut le premier l'idée qu'il s'agissait d'une faiblesse et d'une nuisance. Peut-être était-ce parce que dans la pratique plus naturelle de la " dévotion ", les gens s'aperçurent que leurs pensées les perturbaient. En tout cas, le calme et la maîtrise de soi doivent être préférés à l'agitation. Darwin à l'étude présente un contraste marqué avec le singe dans sa cage.

D'une façon générale, plus l'animal est grand, puissant et hautement développé, moins il se déplace, et plus les mouvements qu'il effectue sont lents et réfléchis. Comparez l'activité incessante d'une bactérie avec l'application raisonnée du castor ; et à part les quelques communautés animales organisées, les abeilles par exemple, L’intelligence la plus élevée se présente chez les créatures aux habitudes solitaires. C'est si vrai de l'homme que les psychologues ont été contraints de traiter le comportement des foules comme s'il était totalement différent en qualité de tout état possible à l'individu.

C'est en libérant l'esprit des influences extérieures, qu'elles soient fortuites ou émotionnelles, que celui-ci devient à même d'entrevoir la vérité des choses.

Continuons néanmoins notre pratique. Décidons d'être les maîtres de nos esprits. Nous verrons alors bientôt quelles conditions s'avèrent favorables.

Nous n'aurons guère d'efforts à faire pour nous convaincre que toutes les influences extérieures sont susceptibles d'être inopportunes. De nouveaux visages, de nouvelles scènes nous dérangeront ; même les nouvelles habitudes de vie que nous contractons dans le seul but de contrôler l'esprit tendront au début à le troubler. Déjà, il nous faut nous débarrasser de notre tendance à trop manger, et suivre la loi naturelle voulant que nous mangions lorsque nous avons faim, écoutant la voix intérieure nous signalant que nous sommes suffisamment rassasiés.

La même règle s'applique au sommeil. Nous avons décidé de contrôler notre esprit, et donc notre temps de méditation doit prévaloir sur les autres heures.

Nous devons fixer des moments pour notre pratique, et rendre mobiles nos fêtes. Afin de tester notre progrès, car nous verrons que (comme dans toutes les questions physiologiques) la méditation ne peut être mesurée par les impressions, nous devons avoir un carnet et un crayon, et aussi une montre. Nous devrons alors nous efforcer de compter le nombre de fois où, durant le premier quart d'heure, l’esprit se détache de l'idée sur laquelle il a décidé de se concentrer. Nous pratiquerons ceci deux fois par jour ; et, comme nous progressons, l’expérience nous apprendra quelles conditions sont favorables ou non. Avant d'avoir une longue pratique derrière nous, il est presque certain que nous vivrons l'impatience, et nous apercevrons qu'il nous faut pratiquer bien d'autres choses afin de nous assister dans notre travail. De nouveaux problèmes surgiront constamment qui devront être affrontés et résolus.

Par exemple, nous découvrirons très certainement que nous ne tenons pas en place. Aucune position ne nous paraîtra confortable, bien que nous ne l'ayons jamais remarqué de toute notre vie !

Cette difficulté est résolue par une pratique nommée Asana, qui sera décrite ultérieurement.

Le souvenir des événements de la journée nous tracassera ; nous devons organiser celle-ci de sorte à ce qu'elle soit totalement dénuée d'incidents. Nos esprits nous rappelleront nos espoirs et nos peurs, nos amours et nos haines, nos ambitions, nos envies, et bien d'autres émotions. Toutes doivent être supprimées. Nous ne devons avoir aucun autre intérêt dans la vie hormis celui de calmer notre esprit.

C'est le but de l'habituel vœu monastique : pauvreté, chasteté et obéissance. Si vous ne possédez rien, vous n'avez aucun souci, rien au sujet duquel s'inquiéter ; grâce à la chasteté aucune autre personne dont vous soucier, ou pour vous distraire ; et avec le vœu d'obéissance, la question de savoir ce que vous devez faire ne peut plus vous tourmenter : vous obéissez simplement.

Il y a de nombreux autres obstacles que vous rencontrerez sur le chemin, et il est projeté de les traiter chacun leur tour. Mais pour l'instant, envisageons le moment où nous approchons du succès.

Lors de vos premiers combats, il a pu vous sembler difficile de conquérir le sommeil ; et il se peut que vous ayez erré si loin de l'objet de votre méditation sans vous en apercevoir que cette dernière ait été réellement déviée ; mais bien plus tard, lorsque vous sentirez que " vous assurez vraiment", vous serez choqué de rencontrer un oubli total de vous-même et de votre environnement. Vous direz : " juste ciel ! J’ai dû m’endormir ! " ou bien "Sur quoi diable étais-je en train de méditer, ", ou même "Qu’étais-je en train de faire ? ", " Où suis je ? ", "Qui suis-je", ou alors une simple stupéfaction aphone vous foudroiera. Ceci peut vous alarmer, mais votre frayeur n’en sera pas amoindrie lorsque vous arriverez à une pleine conscience, et méditerez sur le fait que vous avez effectivement oublié qui vous êtes et ce que vous faites !

Ce n'est là qu'une des nombreuses aventures pouvant vous arriver ; mais c'est l'une des plus typiques. A ce moment, vos heures de méditation rempliront la majeure partie de la journée, et vous aurez probablement des pressentiments constants selon lesquels quelque chose est sur le point de survenir. Vous pouvez aussi être terrifié à l'idée que votre cerveau puisse s'affaiblir mais vous aurez appris les véritables symptômes de la fatigue mentale, et vous aurez soin de les éviter. Ils doivent être très soigneusement distingués de la paresse !

A certains moments, vous ressentirez comme une lutte entre la volonté et l'esprit ; à d'autres vous les percevrez comme étant en harmonie ; mais il y a un troisième état, à distinguer du précédent. C'est le signe certain d'être proche du succès, le taïaut du chasseur voyant le renard surgir hors de son terrier. C'est lorsque l'esprit se précipite naturellement vers l'objet choisi, non par obéissance à la volonté du propriétaire de l'esprit, mais comme s'il n'était dirigé par rien du tout, ou par quelque chose d'impersonnel ; comme s'il tombait de son propre poids, sans être poussé.

Presque toujours, au moment où l'on devient conscient de la chose, elle s'arrête ; et recommence alors ce morne et vieux rodéo entre le cow-boy " volonté " et le cheval sauvage " esprit ".

Comme pour tout autre phénomène physiologique, en prendre conscience implique désordre ou maladie.

Dans l'analyse de la nature de ce travail consistant à contrôler l'esprit, l’étudiant s'apercevra sans difficultés que deux choses s'y trouvent impliquées : la personne voyant et la chose vue ; la personne prenant connaissance et la chose connue; et il en viendra à considérer ceci comme étant la nécessaire condition de toute conscience. Nous sommes trop habitués à prendre pour des faits des choses au sujet desquelles nous n'avons même pas un véritable droit de conjecturer. Nous présumons, par exemple, que l'inconscient tient de la torpeur ; et cependant rien n'est plus certain que les organes corporels fonctionnant bien le fassent en silence. Le meilleur sommeil est sans rêves. Même dans le cas des jeux d'adresse, nos meilleurs coups sont suivis de la pensée " Je ne sais pas comment j'ai fait " ; et nous ne pouvons répéter ces coups à volonté. Dès que nous commençons à penser consciemment à notre coup, nous devenons " nerveux " et nous perdons.

De fait, il y a trois principales catégories de coups ; le mauvais coup qu'à juste titre nous associons à l'attention vagabonde ; le bon coup qu'à juste titre nous associons à l'attention concentrée ; et le coup parfait, auquel nous ne comprenons rien, mais qui est véritablement causé par l'habitude de l'attention concentrée devenue indépendante de la volonté, et ainsi à même d'agir librement, de son plein gré.

C'est le même phénomène auquel il est fait plus haut allusion comme étant un bon signe.

En somme, quelque chose arrive dont la nature pourra constituer le thème d'une plus ample discussion ultérieure. Pour le moment, il suffit de dire que cette conscience de l'Ego et du non-Ego, du voyant et de la chose vue, du connaissant et de la chose connue, est effacée.

Il y a d'ordinaire une intense lumière, un son qui l'est tout autant, et une sensation de béatitude si écrasante que les ressources du langage ont été épuisées encore et encore pour tenter de la décrire.

C 'est un absolu K.O. de l'esprit. C'est si aveuglant et si formidable que ceux qui en font l'expérience courent le grave danger de perdre tout sens des proportions.

En comparaison de sa lumière, tous les autres événements de l'existence sont ténèbres. Pour cette raison, tous ont profondément échoué à l'analyser ou à l'évaluer. Ils sont suffisamment lucides pour affirmer que, comparée à cette expérience, la vie humaine toute entière ne vaut absolument rien; mais ils vont plus loin, et se fourvoient. Ils soutiennent que " puisqu'il s'agit de ce qui transcende le Terrestre, ce doit être céleste". L'une des tendances de leurs esprits était l'espoir d'un paradis tel que leurs parents et enseignants le leur avaient décrit, ou tel qu'ils se l'étaient eux-mêmes représenté ; et, sans rien pour étayer leur affirmation, ils déclarèrent : " C’est Cela ".

Dans la Bhagavadgita, une vision de cet ordre est naturellement imputée à l'apparition de Vishnou, qui était le dieu local de l'époque.

Anna Kingsford, qui avait barboté dans le mysticisme Hébreu, et était une féministe, obtint une vision presque identique ; mais baptisa alternativement " Adonai " et " Maria " le personnage divin qu'elle vit.

Or, cette femme, pourtant handicapée par un cerveau qui n'était qu'une masse de pulpe putride, et une absence totale de rang social, d’éducation, et de sens moral, fit plus pour le monde religieux que toute autre personne durant des générations. Elle, et elle seule, rendit la Théosophie possible, et sans la Théosophie l'intérêt planétaire pour de tels sujets n'aurait jamais émergé. Cet intérêt est à la Loi de Thelema ce que fut la prédication de Saint Jean-Baptiste au Christianisme.

Nous sommes maintenant en mesure de dire ce qui arriva à Mahomet. D'une manière ou d'une autre, ce phénomène se produisit dans son esprit. Plus ignorant qu'Anna Kingsford, mais heureusement plus moral, il le relia à la légende de " l'Annonciation ", dont il entendit indubitablement parler durant son enfance, et déclara " Gabriel m'est apparu ". Mais en dépit de son ignorance, et de sa conception totalement erronée de la vérité, la force de cette vision était telle qu'elle le rendit capable de persister malgré les persécutions usuelles, et qu'il fonda une religion à laquelle, même de nos jours, appartient un homme sur huit.

L'histoire du Christianisme présente exactement la même remarquable caractéristique. Jésus-Christ fut élevé parmi les fables de " l'Ancien Testament ", et fut ainsi contraint d'attribuer ses épreuves à " Jéhovah ", bien que son gentil esprit ne puisse rien avoir en commun avec le monstre qui toujours ordonnait le viol des vierges et le meurtre des petits enfants, et dont les rites étaient alors, et sont toujours, célébrés par des sacrifices humains.

De même, les visions de Jeanne d'Arc étaient totalement Chrétiennes, mais elle, comme tous ceux que nous avons mentionnés, trouva quelque part la force d'œuvrer à de grandes choses. Evidemment, l’on peut dire qu'il y a une fausseté dans l'argument ; il peut être vrai que tous ces grands personnages virent " Dieu ", mais il ne s'ensuit pas que quiconque " voit Dieu " fera de grandes choses.

C'est assez vrai. La majorité des gens qui prétendirent avoir " vu Dieu " et qui le virent aussi certainement que les autres précités, ne firent rien d'autre. Mais peut-être leur silence n'est-il pas la marque de leur faiblesse, mais bien plutôt le signe de leur force. Peut-être ces " grands " hommes sont-ils les ratés de l'humanité ; peut-être serait-il préférable de ne rien dire ; peut être que seul un esprit déséquilibré pourrait souhaiter changer quoi que ce soit ou croire dans la possibilité de changer quoi que ce soit; mais il y a ceux qui estiment que l'existence, même au paradis, est intolérable tant qu'il reste un seul être ne partageant pas cette joie. Il y en a qui peuvent souhaiter retourner en arrière, après avoir franchi le seuil de la chambre nuptiale, afin d'aider les invités en retard.

Telle fut tout du moins l'attitude qu'adopta Gautama Bouddha. Il ne sera pas le seul.

De plus, l'on peut signaler que la vie contemplative est généralement opposée à la vie active, et empêcher l'une d'absorber l'autre exige qu'un équilibre soit très soigneusement maintenu.

Comme on le verra plus loin, la " vision de Dieu ", ou " l'Union à Dieu ", ou " Samadhi ", ou quel que soit le nom pour lequel nous optons, possède plusieurs genres et plusieurs degrés, bien qu'il y ait un infranchissable abîme entre le moindre d'entre eux et le plus élevé des phénomènes de la conscience normale. Pour résumer, nous affirmerons l'existence d'une secrète source d'énergie expliquant le phénomène du Génie. Nous ne croyons pas en de quelconques explications surnaturelles, mais insistons sur le fait que cette source puisse être atteinte par la mise en œuvre de procédés bien déterminés, le degré de succès dépendant de la capacité du chercheur, et non de la grâce de quelque Etre Divin. Nous affirmons que le facteur critique décidant du succès est un phénomène se produisant dans le cerveau, essentiellement caractérisé par l'union du sujet et de l'objet. Nous nous proposons de discuter ce phénomène, d'analyser sa nature, de déterminer avec précision les conditions morales, mentales et physiques lui étant favorables, de nous assurer de sa cause, et d'ainsi être à même de le produire en nous-mêmes, afin de pouvoir étudier ses effets.

 


NOTES:

1 - Ndac: Nous possédons les documents de l'Hindouisme, et de deux systèmes Chinois. Mais l'Hindouisme n'a pas de fondateur unique. Lao Tseu est l'un des meilleurs exemples d'un homme s’éloignant et vivant une mystérieuse expérience; peut-être le meilleur de tous les exemples, de même que son système est le meilleur de tous. Nous trouvons tous les détails de sa méthode d'entraînement dans le Khing Kang King, et ailleurs. Mais il est trop peu connu pour que nous en traitions dans ce manuel populaire.

2 - Ndac: Les massacres de Juifs en Europe Orientale qui surprennent l'ignorant sont presque invariablement provoqués par la disparition d'enfants " Chrétiens ", volés, selon ce que supposent les parents, afin de faire l'objet de " meurtres rituels ".

3 - Ndac: Dans cette ébauche préliminaire, nous ne traitons que d'exemples du génie religieux. Les autres sont sujets aux mêmes remarques, mais les limites de l'espace imparti nous interdisent d'en parler.