TITRE : Magick - Partie I - Asana
Auteur : Aleister CROWLEY
Traduction : Phillipe Pissier
Copyright: © O.T.O & Blockhaus & le Traducteur


 

ASANA

 

Le problème peut être simplement posé comme suit. Un homme souhaite contrôler son esprit, être capable de maintenir une pensée choisie aussi longtemps qu'il le veut sans interruption.

Comme remarqué auparavant, la première difficulté émane du corps qui affirme sa présence en causant par exemple des démangeaisons à sa victime, mais connaît mille autres manières de la distraire. Il veut s'étirer, se gratter, éternuer. Cette nuisance est si persistante que les Hindous ( à leur manière scientifique ) imaginèrent une pratique spéciale pour en venir à bout.

Le mot Asana signifie posture; mais, comme pour tous les mots qui ont provoqué délibérations, le sens exact en a été altéré, et il est employé dans diverses acceptions selon les auteurs. La plus grande autorité en " Yoga " (1) est Patanjali. Il dit : " Asana est ce qui est ferme et agréable ". Cela est vrai de la pratique une fois couronnée de succès. De même, Sankhya affirme : " La posture est cela qui est ferme et tranquille ." Et encore : "n'importe quelle posture ferme et tranquille est un Asana ; il n’y a pas d’autre loi ". N’importe qu’elle posture fera l’affaire ".

Dans un sens cela est vrai, car toute posture devient tôt ou tard inconfortable. La fermeté et la tranquillité marquent un succès précis, comme ce sera expliqué plus loin. Les traités Hindous, tels le Shiva Sanhita, donnent d'innombrables postures; beaucoup, sans doute la plupart d'entre elles, étant inaccessibles à l'adulte Européen moyen. D'autres insistent pour que la tête, le cou et la colonne vertébrale soient maintenus dans une ligne droite verticale, cela pour des raisons attenantes au sujet du Prana que nous aborderons en temps voulu. Les positions décrites dans le Liber E ( The Equinox I et VII ) constituent le meilleur guide en la matière.(5)

L'Asana à son extrême est pratiqué par ces Yogis qui restent dans une position sans bouger toute leur vie durant, sauf cas d'absolue nécessité. L'on ne devra pas critiquer de telles personnes sans une connaissance approfondie du sujet. Une telle connaissance n'a pas encore été publiée.

Toutefois, l’on peut affirmer en toute sûreté que, les grands hommes déjà cités n'ayant point agi de la sorte, cela ne sera pas non plus nécessaire à leurs disciples. Choisissons donc une position appropriée et voyons ce qui se passe. Il y a une sorte d'heureux moyen terme entre la rigidité et la mollesse; les muscles ne sont pas tendus et cependant pas tout à fait lâches. Il est dur de trouver un mot qui décrive adéquatement leur état. " Fortifiés " est peut-être le meilleur. Un sentiment de vigilance physique est souhaitable. Pensez au tigre prêt à bondir, ou au nageur de compétition attendant le signal du départ. Au bout d'un petit moment surgissent crampes et fatigue. L'étudiant doit maintenant serrer les dents et faire avec. Les sensations mineures telles que les démangeaisons, etc...s'évanouiront si elles sont résolument négligées, mais l'on peut s'attendre à ce que les crampes et la fatigue augmentent jusqu'à la fin de la pratique. L'on commencera par une demi-heure ou une heure. L'étudiant ne doit pas s'en faire si quitter l'Asana implique quelques minutes d'intense agonie.

Il faudra beaucoup de détermination pour persister jour après jour, car dans la majorité des cas l'inconfort et la peine augmentent au lieu de diminuer.

D'un autre côté, si l'étudiant n'y prête pas attention, cesse de surveiller son corps, un phénomène opposé peut se produire. Il bouge afin de se soulager, sans même s'en rendre compte. Afin d'éviter ceci, choisissez une position qui, par nature, est plutôt gênante et incommode, et que de faibles changements ne sauraient suffire à rendre confortable. Faute de quoi, les premiers jours, l’étudiant peut même s'imaginer avoir maîtrisé la position. De fait, l’apparente simplicité de toutes ces pratiques est telle que le débutant pourra peut-être s'étonner de tout le bruit fait autour d'elles, ou même croire qu'il est spécialement doué. Pareillement, un homme n'ayant jamais touché un club de golf prendra son parapluie et, nonchalamment, rentrera un putt qui effrayerait le meilleur putter vivant.

Quoiqu'il en soit, dans quelques jours l'inconfort s'installera. Comme vous persistez, les difficultés adviendront plus tôt durant l'heure de pratique. La répugnance à poursuivre l'exercice peut devenir quasi-insurmontable. L'étudiant ne doit pas s'imaginer qu'une autre position serait plus facile à maîtriser que celle qu'il a choisie. Si vous en changez, vous êtes perdu.

Peut-être la récompense n'est-elle pas si éloignée: viendra un jour où la douleur sera soudainement oubliée, la présence du corps également, et l'on réalisera que toute sa vie durant, jusqu'à cet instant, le corps était à la frontière de la conscience, et que cette conscience était une conscience de douleur; et à ce moment l'on réalisera de plus, avec une indicible sensation de soulagement, que non seulement cette position, qui avait été si atroce, est devenue l'idéal du confort physique, mais que toutes les autres positions concevables du corps sont inconfortables. Ce sentiment indique la réussite.

Il n'y aura pas de difficultés ultérieures. L'on prendra son Asana avec presque la même sensation qu'un homme fatigué rentrant dans son bain chaud; et dans cette position, l’on peut être sûr que le corps n'émettra plus de messages susceptibles de troubler l'esprit de l'étudiant.

D'autres résultats inhérents à cette pratique sont décrits par les auteurs Hindous mais ils ne nous intéressent pas pour l'instant. Notre premier obstacle venant d'être levé, attaquons-nous maintenant aux autres.


NOTES :

1 - Ndac: Yoga est un nom générique pour cette forme de méditation visant à l'union du sujet et de l'objet, yog étant la racine du mot latin Jugum et du mot anglais Yoke.

2 - Ndac: En voici quatre:

1. Assis sur une chaise; tête haute, dos droit, genoux joints, mains sur les genoux, yeux clos ( Le Dieu ).

2. A genoux; fesses reposant sur les talons, orteils retournés contre le sol, dos et tête droits, mains sur les cuisses ( Le Dragon ).

3. Debout; cheville gauche tenue par la main droite (pratiquer alternativement avec la cheville droite tenue par la main gauche, etc), index gauche sur les lèvres ( L'Ibis ).

4. Assis; talon gauche pressé contre l'anus, pied droit en équilibre sur les orteils, talon recouvrant le sexe; bras autour des genoux; tête et dos droits ( Le Coup de Foudre ).