Titre : LIBER LIX : ACROSS THE
GULF
Auteur : Aleister Crowley
Traduction : Philippe Pissier.
Premiere publication : in "The Equinox" VolI,N°7 (londres, 1912).
Extrait de :
"EQUINOXE", vol. I, no 4.
© O.T.O. & Philippe Pissier.
ISSN 1261-503 X. Périodicité semestrielle.
Pour toute correspondance, écrire à :
Philippe Pissier / BP 13 / 46170 Castelnau-Montratier / France
CHAPITRE I
Cela me revient enfin en mémoire.
Cinq ans se sont écoulés depuis que jai découvert ma stèle au musée Boulak, mais il aura fallu que jobtienne lannée dernière à Bénarès une certaine initiation pour que resurgisse le souvenir de ma vie de prince et de prêtre à Thèbes sous la Vingt-Sixième Dynastie. Il y a de nombreuses zones dombre mais il mest intimé décrire, car en écrivant il se peut que tout me revienne. Et sans les parfaites connaissance et compréhension de cette vie étrange passée au bord du Nil, je ne puis pleinement connaître et comprendre cette vie présente, ou trouver ce Tombeau quil mincombe de trouver, pour y faire ce qui doit y être fait.
Cest donc avec foi et assurance que jentreprends, moi qui fus dans un certain sens, mystique le Prêtre des Princes, Ankh-f-na-khonsu, fils de la sainte et puissante Ta-nech et de Bes-na-Maut, moi qui fus prêtresse de lÉtoilée, de narrer les choses étranges qui marrivèrent durant cette vie.
Voici.
À ma naissance, Aphruimis se levait dans le signe du Lion, et dedans se trouvait cette étrange planète qui préside aux ténèbres, à la magie et aux amours interdites. Le soleil était conjoint à la planète dAmoun, mais dans lAbîme, comme pour signifier que ma puissance et ma gloire devraient relever du secret, et dans Aterechinis, le second décan de la Maison de Maat, de sorte que mes passions et mes plaisirs échapperaient eux aussi au monde profane. En Maison des Voyages dans le Signe du Bélier se trouvait ma charmante dame la Lune. Et les sages interprétèrent ceci comme un signe que je voyagerai au loin; ce pourrait être jusquau grand temple à la source de notre mère le Nil, ce pourrait être...
Sottises! Jai rarement quitté Thèbes.
Mais jai toutefois exploré détranges pays dont ils navaient jamais entendu parler : et cela je narrerai en temps utile.
Je me rappelle comme jamais je nai pu tant que je vivais en terre de Khem tout le soin minutieux qui entoura ma naissance. Il faut dire que ma mère appartenait à la plus vieille famille de Thèbes, de sang non seulement royal mais également divin. Cinquante vierges dans leurs robes argentines lentouraient en jouant de leurs sistres, comme si le rire des Dieux faisait écho aux plaintes de la femme. Près du lit se tenait le Prêtre dHorus avec son lourd bâton qui débutait par un fourchon et se terminait par un Phénix. Il était sur ses gardes, craignant que Sebek ne surgisse de labîme.
Sur le toit du Palais, les trois principaux astrologues de Pharaon montaient la garde, pourvus de leurs instruments. Quatre hommes armés, répartis à chaque coin de la tour, annonçaient chaque dieu dès lors quil apparaissait. Et les trois hommes étaient accablés par leur tâche, une forte inquiétude sétant en effet emparée deux. Ma naissance avait été attendue toute la journée, et comme Toum approchait de Son déclin leurs visages devinrent plus pâles que le ciel. Tout leur art avait de fait omis un redoutable moment de la nuit. Les dieux qui présidaient à celui-ci étaient voilés.
Mais il semblait peu probable que le Destin en décide ainsi. Ils furent pourtant si effrayés quils envoyèrent dire au Prêtre de Thoth quil devait à tout prix éviter le sombre moment, les vies de la mère et de lenfant dussent-elles en pâtir. Les hommes de garde continuaient à crier lheure. Maintenant, maintenant ! hurla le plus vieux des astrologues comme linstant devenait tout proche maintenant ! En bas, comme pour lui répondre, le prêtre de Thoth fit appel à toute son adresse.
Et soudain ! labîme qui gronde. Le palais trembla puis seffondra, Typhon apparut en sa puissance destructrice, foulant les cieux. Le monde fut ébranlé par des séismes, les étoiles chancelèrent, dégrafées de leur support.
Et sur ces entrefaites, vois ! Bes-na-Maut, ma mère et moi dans ses bras, riant au milieu de tout ce désastre. Aucun être vivant navait toutefois été blessé, même légèrement ! Mais les astrologues déchirèrent leurs robes et se cognèrent la tête contre le sol, car linstant redoutable, la Terreur Inconnue, sen était allée, mais cétait celui qui mavait vu naître.
Il est vrai que dans leur épouvante, comme je lappris bien plus tard, ils envoyèrent un messager au plus vieux et au plus sage des prêtres : le grand prêtre de Nuit, lequel vivait au fond dun puits dune grande profondeur, afin que ses yeux, même le jour, puissent demeurer fixés sur les étoiles.
Mais il leur répondit quayant fait tout leur possible, et le Destin ayant contrarié leurs desseins, il était flagrant que laffaire était entre les mains du Destin et que moins ils sen mêleraient, mieux cela vaudrait pour eux. Car cétait un vieil homme bourru comment je le rencontrai par la suite sera narré au moment opportun.
Je devais donc être élevé comme il convenait à quelquun de mon rang, mi-prince, mi-prêtre. Je devais suivre les traces de mon père, me saisir de son bâton et de son ankh, mapproprier son trône.
Je vais maintenant évoquer certains détails de ma préparation à cette sainte et importante tâche.
Ma mémoire est à la fois étrangement fragmentaire et étrangement vive. Je me souviens de comment, étant parvenu au terme de mon quatrième mois, les prêtres se saisirent de moi et menveloppèrent dans une peau de panthère, dont lor flamboyant et la moucheture noir de jais évoquaient lastre du jour. Ils me portèrent jusquà la rive du fleuve où les crocodiles sacrés se chauffaient au soleil. Ils me laissèrent là. Mais, avant de sen retourner, ils omirent lenchantement dusage contre la nature malfaisante du crocodile, et ainsi demeurai-je trois jours sans la moindre protection. Il arriva seulement quà certaines heures ma mère descende me nourrir, mais elle aussi restait muette, uniquement revêtue de ses habits de princesse, dépourvue des insignes sacrés de son ministère.
Et aussi, quand jeus six mois, ils mexposèrent au Soleil du désert, parfaitement nu et sans le moindre abri. Lorsque jen eus sept, ils me couchèrent dans un lit aux côtés dune sorcière qui buvait le sang des petits enfants et qui, relâchée après un long emprisonnement, était cruellement assoiffée. À loccasion de mon huitième mois, ils moffrirent pour camarades de jeu laspic du Nil, lUraeus Royal et le serpent mortel qui sévit au Sud du pays. Mais je sortis indemne de toutes ces épreuves.
Je fus sevré au neuvième mois et ma mère me fit ses adieux, car elle ne devait jamais plus poser les yeux sur moi si ce nest durant les rites sacrés des Dieux, où nous devions nous rencontrer autrement que comme mère et fils, dans les atours de cette Seconde Naissance dont nous, ceux de Khem, étions au fait.
Des six années qui suivirent, rien ne demeure. Je me souviens uniquement du grandiose spectacle de notre ville de Thèbes, et de laustérité de mon existence. Je vivais en effet à dos de cheval, ne le quittant pas même pour boire ou manger car cest ainsi quon devient prince. Lon mapprit également à me servir de lépée, de larc et de la lance. Car lon disait que Horus ou Men Tu comme nous Lappelions à Thèbes était mon Père et mon Dieu. Je raconterai plus tard létrange histoire de mon enfantement.
Quoi quil en soit, au terme de mes sept ans, jétais devenu suffisamment grand et fort pour que mon père memmène avec lui consulter le vieil astrologue qui vivait dans le puits. Je men souviens comme si cétait hier. Ces longues journées quil nous fallut pour descendre le fleuve ! Jentends encore le craquement des bancs, je sens encore lodeur des esclaves en nage. Quelquefois, de brefs instants décume tournoyante comme nous passions un rapide ou une cataracte. Les grands temples que nous passâmes, lIbis de Thoth qui solitaire méditait sur le rivage, les volées cramoisies doiseaux - mais rien de ce que nous vîmes durant la traversée négalait ce que nous rencontrâmes pour finir. Dans un lieu désolé se tenait le Puits, et à côté un petit temple où devaient résider les serviteurs eux aussi fort saints ! de ce vieil et saint homme.
Mon père mamena jusquà la bouche du puits et invoqua par trois fois le nom de Nuit. Une voix nous parvint, sélevant en rampant le long de la paroi tel un serpent : " Que cet enfant
devienne prêtresse de la Voilée ! "
Or mon père était suffisamment sage pour savoir que le vieil homme ne se trompait jamais; encore fallait-il correctement interpréter ses oracles. Il était néanmoins cruellement déconcerté et grandement affligé, car jétais de sexe mâle. Alors, au risque de sa vie le vieil homme nétait guère commode ! il appela à nouveau et dit : " Regarde mon fils ! "
Mais, comme il parlait penché au-dessus du puits, un rayon de soleil frappa sa nuque et son visage sassombrit, le sang jaillit hors de sa bouche. Et le vieil homme lapa le sang de mon père, et cria gaiement à ses serviteurs de me conduire à la demeure de la Voilée afin quon my prépare à ma nouvelle existence.
Du petit bâtiment surgirent un eunuque et une jeune femme incroyablement belle. Leunuque sella deux montures et nous partîmes dans le désert, seuls.
Or, bien quétant à même de chevaucher comme un homme, ils sy opposèrent; et la jeune prêtresse me porta dans ses bras. Et bien que pouvant me nourrir de viande comme nimporte quel guerrier, ils sy opposèrent; et la jeune prêtresse me nourrit à son sein.
Et ils me retirèrent larmure de bronze doré que mon père mavait faite, aux écailles pareilles à celles du crocodile, cousues sur une peau de ce même animal que dhabiles artisans avaient traitée à laide de sel et dépices. Ils me vêtirent ensuite de soie verte.
Cest de cette étrange manière que nous parvînmes à une petite demeure dans le désert, et ce qui marriva en ce lieu, les dieux ne me permettent pas encore de le dire. Mais je vais massoupir, et au matin la mémoire me sera par leur grâce revenue, intacte au travers de ces milliers de révolutions terrestres.
CHAPITRE II
Durant de nombreuses années, je grandis dans la douceur et le raffinement de mes atours féminins. Et le vieil eunuque (qui était fort sage) menseigna lArt de la Magie et le culte de la Voilée dont je devais devenir prêtresse.
Je me souviens maintenant de bien des choses au sujet de ces étranges rituels, de choses trop sacrées pour être couchées par écrit. Mais je raconterai une aventure qui marriva alors que javais neuf ans.
Il est écrit, dans lun des livres sacrés, que le secret de cette potion subtile qui octroie la vision des demeures étoilées du Duat, laquelle signifie vie éternelle de liberté et de plaisir au milieu des vivants, réside dans lemploi dun certain os, petit et arcane, de lOurs de Syrie. Mais comment un enfant comme moi aurait-il pu en tuer un ? Ils mavaient dépouillé de toutes mes armes.
Dans lun des jardins de la ville (car nous habitions désormais une demeure située dans les faubourgs de Thèbes) se trouvait une colonie dours dont disposait un grand seigneur pour son plaisir personnel. Je réussis par ruse à attirer un ourson loin de sa mère et le tuai à laide dune grosse pierre. Jarrachai alors sa peau et my dissimulai, me saisissant également de sa mâchoire que jaiguisai avec ma pierre. La vieille ourse vint enfin me chercher, et comme elle approchait son museau pour me flairer, me prenant pour son petit, je plongeai dans sa gorge mon os affilé.
La chance accompagnait mon geste car elle toussa une fois puis mourut.
Je memparai alors de sa peau non sans grands efforts et, la nuit étant tombée, voulus regagner mon domicile. Mais jétais accablé de fatigue et nétais plus à même de gravir le mur. Je demeurai néanmoins éveillé toute la nuit, continuant à aiguiser contre ma pierre la mâchoire de lourson, et cette fois la fixai à une branche que jarrachai à lun des arbres poussant dans le jardin.
Je mendormis au matin, enveloppé dans la peau de la vieille ourse. Et le grand ours lui-même, le seigneur du jardin, me vit et me prit pour sa femelle, et savança afin de disposer de moi. Brutalement réveillé, je le frappai au cur de toutes mes forces comme il se dressait au-dessus de moi et quittant mon abri me mis à courir parmi les arbres. Car je navais pas frappé juste, doblique manière. Et le vieil ours, cruellement blessé, déchira la peau de sa compagne puis, découvrant le subterfuge, partit à ma poursuite.
Mais, par chance, je trouvai un étroit pylône dans lequel me réfugier, trop profond pour quil puisse my atteindre. Je ne pouvais cependant aller plus loin, la porte étant fermée. Dans lencoignure de la porte se trouvait une vieille épée abandonnée. Elle était trop lourde pour que je la puisse manier avec aisance; je la soulevai néanmoins et la laissai retomber sur les griffes de lours. Je lui fis tellement mal que tout à sa douleur il mabandonna, et se retira pour se lécher les pattes. Il moublia. Menhardissant, je sortis en courant et me précipitai sur lui. Il ouvrit sa gueule, mais avant quil nait pu se redresser je lui portai un coup destoc. Il releva la tête et moi qui me cramponnais à la poignée de lépée fus projeté dans les airs avant de retomber lourdement sur mon épaule. Ma tête heurta le sol elle aussi et je sombrai dans linconscience.
Je revins à moi-même en raison dun groupe dhommes et de femmes qui me jetaient de leau à la figure et proféraient les charmes qui tirent de lévanouissement. À mes côtés, tout près de moi, reposait mon ennemi mort. Nayant pas oublié lobjet de ma quête, je pris la lame de lépée (qui sétait rompue) et découpai les parties secrètes de lours où résidait le petit os dont je me saisis, prêt à déguerpir avec mon trophée. Mais le grand seigneur de lendroit vint me parler, et tous ses amis firent comme sils voulaient se moquer de moi. Mais les femmes ne voulurent point suivre leur exemple; elles mentourèrent, me câlinèrent et me caressèrent, de sorte que de méchantes paroles furent dites.
Mais alors même quils se querellaient, mon tuteur, le vieil eunuque, fit son apparition au milieu deux il avait suivi ma trace jusquau jardin.
Et lorsquils virent lanneau du vieil et saint homme, lastrologue, ils tremblèrent; et le seigneur de la demeure me passa une chaîne en or autour du cou tandis que sa dame moffrait son propre foulard de soie, où étaient brodés les amours dIsis et Nephtys, dApis et Hâthor. Nul nosa me retirer le petit os que javais si durement gagné; et avec lui je composai le charme de lÉlixir et contemplai les demeures étoilées du Duat, ainsi quil était dit dans lantique livre de sagesse.
Mais mes tuteurs étaient confus et perplexes car javais beau être doux et raffiné, ma virilité rayonnait dès à présent au travers dactions de cet ordre comment pourrais-je véritablement devenir prêtresse de la Voilée ?
Cest pourquoi ils ne me quittèrent plus et me dorlotèrent dans le luxe et la flatterie. Javais deux jeunes esclaves noirs qui méventaient et me donnaient à manger; javais un harpiste venu de la grande cité de Memphis, lequel me jouait des airs langoureux. Mais dans mon espièglerie je lui inspirais constamment des pensées de guerre et damour, et sa musique devenait bruyante et agressive, de sorte que le vieil eunuque faisait irruption et lui donnait la bastonnade.
Comme je me souviens bien de cette chambre ! Elle était vaste et haute, pourvue de colonnes sculptées dans la malachite, le lapis-lazuli, le porphyre et le marbre jaune. Le sol était de granit noir, le plafond de marbre blanc. Au Sud se trouvait ma couche, moelleuse pour ses fourrures exotiques. Se rouler en elles équivalait à suffoquer de plaisir. Au centre se trouvait une toute petite fontaine, dor pur. La lumière du soleil pénétrait dun côté par lespace entre les murs et le toit, et je pouvais contempler lazur infini en me tournant vers les autres.
Un grand python vivait dans lentrée, il était toutefois fort vieux et trop sage pour se mouvoir. Mais cest du moins ce que je croyais il mobservait attentivement et fournissait des renseignements au vieux mage dans son puits.
Voici en quoi la sottise de mes tuteurs était manifeste : tout le jour je dormais et me languissais et jouais paresseusement, et la nuit, alors même quils me croyaient assoupi, je ne dormais point. Je me levais et me livrais aux exercices les plus violents. Je gagnais tout dabord mon bain, plongeais ma tête dans leau et retenais ma respiration le temps dinvoquer une centaine de fois la déesse Auramoth. Puis je faisais le tour de ma chambre en marchant sur les mains, il marriva même de sautiller sur une seule main. Jescaladais ensuite chacune des colonnes, lesquelles étaient fort lisses et au nombre de vingt-quatre. Je pratiquais en outre les soixante-douze postures athlétiques. Cest encore de bien dautres manières que je mefforçais dacquérir une puissance tout à fait considérable, et je nen dis jamais un seul mot à mes tuteurs.
Une nuit, je me décidai enfin à éprouver ma force et, écartant le rideau, je mengouffrai dans le corridor. Bondissant sur le soldat qui me gardait, je le renversai à terre. Passant ma dextre sous son menton et agrippant son épaule droite de ma main gauche, mon genou contre sa nuque, je lui brisai les cervicales avant même quil ait eu le temps de pousser un cri.
Jétais maintenant dans ma quinzième année, mais lexploit était remarquable. Personne ne me soupçonna, lon crut quil sagissait dun prodige.
Le vieil eunuque, affligé, alla consulter le mage du puits dont la réponse fut : " Que soient prononcés les vux de la prêtresse ! "
Je pensais que ce vieillard était la proie dune sotte obstination, car jétais moi-même sot et obstiné. Je nentendais encore rien à sa sagesse ou à son dessein.
Il en est souvent ainsi. Les hommes envoyaient autrefois leurs prêtres reprocher au Nil sa crue jusquà ce quon saperçoive que celle-ci était garante de la fertilité de leurs champs.
Je vais maintenant vous entretenir des vux que je prononçai et de mon office de prêtresse de la Voilée.
CHAPITRE III
Cétait lÉquinoxe de Printemps et la vie rugissait en moi. Ils me firent descendre le long de fraîches colonnades taillées dans la roche grandiose, vêtus de robes blanches brodées dargent, et voilés par un mince filet dor assuré par des rubis. Ils ne me donnèrent point la couronne Uraeus, ni de némès, ni la couronne Atef, mais ceignirent mon front dun simple ruban de feuilles vertes verveine, mandragore, ainsi que certaines herbes mortelles quil ne convient pas de mentionner.
Or, les prêtres de la Voilée étaient cruellement perplexes car il ny avait jamais eu auparavant de garçon qui fut prêtresse élue. Il fallait en effet, préalablement à la prononciation des vux, établir les preuves de sa virginité et il semblait donc impératif de supprimer ou passer sous silence cette partie du rituel. Le Grand Prêtre dit alors : " Nous examinerons la première femme sur laquelle il posera la main, et cela suffira. " À lécoute de ces mots me vint lenvie de mettre la Divinité à lépreuve. Scrutant la foule, je remarquai une courtisane célèbre de par la cité, très librement vêtue, au visage empourpré et au regard impudique. Je la touchai. Ceux des prêtres qui me haïssaient sen réjouirent car ils voulaient me voir échouer. Ils emmenèrent cette femme dans la salle du jugement et commencèrent leur inspection.
Ils revinrent en courant, leurs robes déchirées, se récriant contre la Voilée; car elle était totalement vierge et le resta jusquà sa mort, comme on vit par la suite.
Mais la Voilée sétait courroucée de leur attitude et elle apparut, revêtue de son voile scintillant, sur les marches de son temple. Elle y demeura et les appela un par un, ne dévoilant à chaque fois que son regard pour mieux scruter le leur, et ils tombèrent tous morts à ses pieds comme frappés par léclair.
Mais ces prêtres qui étaient amicaux envers moi et fidèles à la déesse semparèrent de cette courtisane vierge et la portèrent en triomphe au travers de la cité, voilée et couronnée comme il lui seyait. Quelques jours plus tard mourut celui qui veillait sur le bouc sacré de Khem, et cest par elle quils le remplacèrent. Et ce fut la première femme ainsi honorée depuis le règne de la Reine Maléfique, au cours de la dix-huitième Dynastie, elle qui était lasse des hommes à un âge où les autres nen savent rien, elle qui soffrait aux bêtes comme aux dieux.
Ils memmenèrent ensuite à la mare dargent liquide cest tout du moins le nom quils lui donnaient, et je pense quil sagissait de vif-argent car je me souviens quil leur fut très difficile de my immerger située sous les pieds de la Voilée. Car voici quel était le secret de lOracle. Se tenant à une certaine distance, le prêtre contemplait son reflet dans ce miroir, voyait ses lèvres bouger sous le voile, et en tirait une interprétation quil délivrait au chercheur de vérité.
Cest ainsi que le prêtre déchiffrait de manière erronée le silence de la Déesse, et que le consultant comprenait de travers le discours du prêtre. Alors vinrent des sots, qui dirent : " La Déesse a menti " et ils moururent comme des niais quils étaient.
Donc, tandis quils me maintenaient sous la surface de leau, la Grande Prêtresse prononça les vux en mon nom, disant :
Je jure sur lorbe de la Lune;
Je jure sur la rotation des Étoiles;
Je jure sur le Voile, et sur le Visage derrière le Voile;
Je jure sur la Lumière Invisible, et sur les Ténèbres Visibles; au nom de cette Vierge immergée dans tes eaux;
De vivre dans la pureté et le service;
De vivre dans la beauté et la vérité;
De protéger le Voile du profane;
De mourir devant le Voile...
puis vint la terrible sanction en cas déchec.
Je nose pas men rémémorer, même en partie; elle contenait toutefois ces paroles : Quelle soit déchirée par le Phallus de Set, et que ses entrailles soient dévorées par Apep; quelle soit prostituée au désir de Besz, et que son visage soit la proie du dieu .
Il nest pas bon décrire Son nom.
Ils me relâchèrent et je flottai en souriant dans la mare. Ils maidèrent à en sortir puis mamenèrent aux pieds de la déesse afin que je les puisse baiser. Et comme je les embrassai, une telle émotion me parcourut que je me crus transporté dans le ciel dAmoun, ou semblable à Asi lorsque Hoor et Hoor-pa-kraat surgirent en armes de sa matrice. Puis ils me dépouillèrent de mes vêtements et me flagellèrent à laide de fines ramilles de coudrier vierge, jusquà ce que mon sang vienne sécouler dans la mare. Et la surface argentée avala le sang en raison de quelque mystérieuse énergie, et ils tinrent ce phénomène pour un signe favorable. Ils me vêtirent ensuite comme il sied à une prêtresse de la Voilée, placèrent un sistre dargent dans ma main et mordonnèrent de célébrer la cérémonie dadoration. Ce que je fis, et le voile de la déesse brilla dans les ténèbres car la nuit était tombée dune lumière étrange, étincelante.
Lon sut par là même que javais été choisi à juste titre.
Ils memmenèrent pour finir à la demeure réservée aux banquets et massirent sur le grand-trône. Les prêtres vinrent un par un membrasser sur les lèvres, puis les prêtresses savancèrent une par une pour me donner la secrète poignée de main qui possède une vertu cachée. Et le banquet devint joyeux, car toute la nourriture avait été magiquement préparée. Chaque bête tuée était vierge, chaque plante cueillie avait été plantée et entretenue par des vierges dans les jardins du temple. Le vin nétait queau de source, mais consacrée de telle manière par les saintes prêtresses quun seul verre en était plus enivrant quune pleine outre de vin ordinaire. Cette ivresse était pur délice, enthousiasme pleinement divin qui octroyait des forces, supprimait le sommeil et évacuait toute tristesse.
Lorsque le premier trait gris de Hormakhu vint pâlir le sombre indigo de la nuit, ils me couronnèrent et me vêtirent de blanches fleurs de lotus, puis me ramenèrent joyeusement au temple afin dy célébrer le rituel matinal du réveil de la Voilée.
Cest ainsi, et de nulle autre manière, que je devins prêtresse de cette sainte divinité, et durant un temps assez bref ma vie se déroula aussi sereine que le miroir lui-même.
Cest de la Voilée que vint le Souffle de Changement.
De la façon suivante.
Au Septième Équinoxe qui suivit mon initiation à son mystère, léchec de la Grande Prêtresse devint manifeste. Lors de son invocation, le Voile ne scintillait plus comme il avait coutume de le faire. On la jugea donc impure et lon eut recours à de nombreuses et vaines cérémonies. Pour finir, au désespoir, elle se rendit au temple de Set et soffrit en victime à ce terrible dieu. Tous en furent profondément troublés, et pas un ne savait quoi faire.
Il convient maintenant de dire que les cérémonies sont toujours célébrées par une unique prêtresse, seule avec la déesse, sauf lors des Initiations.
Les autres sétaient également vues rejetées par Elle, et lorsquelles apprirent la terrible fin de la Grande Prêtresse, elles furent emplies de crainte. À vrai dire, certaines cachèrent leur échec aux prêtres. Mais il nétait pas besoin dattendre un jour et une nuit pour à chaque fois retrouver leur corps mutilé dans les cours extérieures. Dire la vérité apparut alors comme un moindre mal.
Laffaire était en outre devenue un scandale public car la déesse avait frappé le peuple de famine et laccablait dun mal terrible et odieux.
Je ne savais quoi faire, car pour moi le Voile scintillait toujours, et même plus vivement quà laccoutumée. Je nen dis cependant rien et errais abattu et triste comme si jétais aussi infortuné que les autres. Je ne voulais pas avoir lair de me vanter de la faveur de la déesse.
Ils partirent alors consulter le vieux Mage du puits qui leur rit carrément au nez sans leur dire un seul mot. Ils rendirent ensuite visite au bouc sacré de Khem, et sa prêtresse leur répondit simplement : " Moi, ou quelquun de pareil à moi, pouvons trouver grâce auprès dElle. " Ils crurent cette réponse obscène et moqueuse. La troisième fois, ils allèrent au temple de Thoth, le dieu Ibis présidant à la sagesse. Et Thoth leur répondit par cette énigme : " Sur combien de pattes mon Ibis se tient-il ? "
Et ils ny entendirent rien.
Mais le vieux Grand Prêtre était bien décidé à résoudre le mystère, quitte à le payer de sa vie. Il se cacha dans le temple et chercha dans la mare le reflet de la scintillance du Voile, tandis quune par une nous célébrions les adorations. Derrière lui, à lextérieur, se tenaient les prêtres attendant quil leur fasse signe. Nous ne le savions pas, et lorsque ce fut à moi (en dernier) dadorer la Voilée, le Voile scintilla et le vieux Prêtre leva haut les bras pour signaler ce qui venait de se produire. Et léclair de lil transperça le Voile : lautre tomba raide mort de son poste dobservation et sabattit sur les prêtres au dehors.
Ils lensevelirent en grande pompe car il avait donné sa vie pour le peuple et pour le temple, afin de regagner la faveur de la Voilée.
Tous vinrent ensuite avec grande humilité voir lenfant que jétais, et ils mimplorèrent de traduire la volonté de la Déesse. Et sa volonté était que je sois seul à la servir nuit et jour.
Ils me firent ensuite boire à la Coupe du Tourment dont la vertu tenait au fait que celui qui mentirait, invoquant le nom de la Déesse, brûlerait en enfer à la vue de tous durant mille ans, et ce feu jamais ne serait éteint. Un tel parjure existe dans son temple de Memphis, je le vis de mes yeux. Il y brûle et sy contorsionne et y pousse des cris perçants sur la froideur du sol de marbre, et il y brûlera le temps imparti avant de sombrer dans cet enfer plus effroyable encore en aval de lOuest. Mais je bus, et la céleste rosée se mit à luire sur ma peau, et une indicible fraîcheur me pénétra tout entier. Tous sen réjouirent et obéirent à la parole de la Déesse par moi transmise.
Jétais désormais toujours seul avec la Voilée, et il me faut pénétrer plus avant dans cette période secrète de ma vie. Car, malgré son dénouement qui fit honte à de nombreux sages, ce fut pour moi comme une éternité dextase, defforts et de réussites bien au-delà de ce que la plupart des mortels même initiés ! disent divin.
Tout dabord, entendons-nous bien sur ce quest le rituel dadoration de notre Dame, la Voilée.
Primo, la prêtresse exécute une danse mystique par laquelle toutes les entités quelle que soit leur nature, divine ou démoniaque, sont bannies, ce afin que le lieu soit pur. Ensuite, par une autre danse plus secrète et plus sublime, la présence de la Déesse est invoquée dedans son Idole. Après quoi la prêtresse effectue un certain voyage, traversant les sanctuaires de nombreux, grands et terribles Seigneurs de Khem, en les saluant. En dernier lieu, elle prend véritablement lidentité de la Déesse, et si cela est dûment accompli, le Voile scintille en conséquence.
Par contre, si le Voile ne brille pas, cest que dune manière ou dune autre la prêtresse a échoué à sidentifier à Elle. Et donc quil est une impureté dans la pensée de la prêtresse qui la fait échouer, car la déesse est par elle-même totalement pure.
Cependant, la tâche est toujours ardue; car pour ce qui est des autres dieux on connaît laspect de leurs idoles et en les contemplant assidûment on devient aisément capable de les imiter, et donc de les comprendre, et de faire un en conscience avec eux. Mais en ce qui concerne Notre Voilée, personne ayant vu son visage navait vécu assez longtemps pour dire quoi que ce soit ou même pousser un cri.
Il était donc pour moi dune urgence vitale de demeurer en parfaite sympathie avec cette âme pure, si calme, si forte. Je me considérai donc avec effroi lorsque, examinant ma propre âme, je ny vis plus cette parfaite tranquillité. Cétait étrange, comme regarder un lac sur lequel souffle un vent quon ne sent pas sur son visage !
Tremblant et confus, jallai effectuer ladoration vespérine. Je me sentais troublé, irrité, par je ne savais quoi. Et malgré toutes mes tentatives, cela persista jusquau suprême instant de mon assomption de sa divinité.
Et alors ? Le Voile scintilla comme jamais auparavant, oui, beaucoup plus ! il projetait des étincelles de feu scintillant, de rose argentin, une averse de flammes et de fragrance.
Jen fus totalement ébahi et me fis son Vigile toute la nuit, dans lattente dune Parole. Elle ne vint point.
De ce qui en outre arriva, men vais-je vous entretenir.
CHAPITRE IV
Je ne quittais bientôt plus la déesse, si ce nest pour manger et dormir. Le peuple rentra en grâce auprès delle et tous sen réjouirent.
Si un homme bronchait, on le tuait sur-le-champ car le peuple navait pas oublié la famine et la maladie et voulait à tout prix ne plus jamais en être la proie. Ils étaient donc extrêmement ponctuels dans leurs offrandes.
Ceci dit, jétais chaque jour plus anxieux car sujet à une grande passion dont je nosais parler à qui que ce soit. Je nosais même pas la mentionner dans le secret de mon cur, de crainte de découvrir sa nature. Jenvoyai alors ma préférée, la vierge Istarah (svelte, pâle, et tremblante comme un jeune lotus sous le Vent dOuest), munie de lanneau de mon ministère, consulter le vieux Mage du puits.
Il lui répondit en désignant le ciel puis la terre. Et jinterprétai cet Oracle comme voulant dire : " Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. " Cela me vint alors quen proie au désespoir je métais jeté aux pieds de ma Dame, les mouillant de mes pleurs; car un signe advint par lequel je sus que javais commis une chose si effroyable que même maintenant des milliers dannées plus tard jose à peine la coucher par écrit.
Jétais tombé amoureux de la Voilée.
Oui, avec lardente passion dune bête, dun homme, dun dieu, je laimais de toute mon âme.
À linstant même où je réalisais grâce au signe, le Voile devint un feu dévorant qui consuma mes habits cérémoniels, les lapant de ses langues ignées telle une tigresse qui lape le sang. Je neus toutefois aucune brûlure ni un seul cheveu de roussi.
Je menfuis alors, nu et paniqué, et dans ma folie glissai et tombai dans la mare dargent liquide, éclaboussant toute la salle; et comme je fuyais, cette rose cataracte de flammes qui menveloppait, jaillie du Voile, séteignait séteignit.
Le Voile nétait plus quun tissu doré, terne.
Je rampai craintivement jusquaux pieds de la déesse et par mes larmes et mes baisers tentai de léveiller une fois encore à la vie. Mais le Voile ne flamboya point. Une brume se forma tout autour de lui et remplit bientôt le temple - je ny voyais plus rien.
Istarah, ma préférée, revint avec lanneau et le message. Persuadé quelle apportait de mauvaises nouvelles, je saignai sa gorge dagnelle à laide de la faucille magique, arrachai de mes mains sa langue de vipère et la jetai aux chiens et aux chacals.
Je venais de commettre une grossière erreur : ses nouvelles étaient bonnes. En y réfléchissant, jen perçus le sens.
Si le Voile flamboyait toujours durant mon assomption, cest qualors jétais en résonance avec cette sainte Voilée.
Si jétais troublé sans en connaître la cause, si ma longue paix sachevait... il en était de même pour Elle !
" Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ! " Si moi, lhomme, je cherchais à memparer de la divinité pour létreindre dans mes bras, Elle, pure essence, tentait par amour de se manifester dans la forme.
Je nosai cependant pas réitérer la cérémonie à minuit.
Au lieu de cela, je gisais face contre terre et bras étendus, proie de la peine et de la honte, sur les marches devant ses pieds.
Et soudain ! Le Voile flamboya. Je sus alors quElle aussi Se reprochait son ardeur comme son abstinence. Je restai ainsi sept jours sans bouger, et durant tout ce temps le Voile flambait doucement et subtilement, la splendeur bleuâtre devenant verte comme je passais de la mélancolie au désir.
Je me relevai le huitième jour, quittai le sanctuaire et revêtis des habits neufs, écarlates et dorés, puis me couronnai de pampre, de laurier et de cyprès. Je me purifiai et fis lannonce dun banquet. Une fois prêtres et citoyens complètement soûls, jappelai le garde et les fis tous mettre dehors, puis intimai au capitaine de ne laisser rentrer personne sil tenait à la vie. De la sorte pourrai-je demeurer totalement seul dans lenceinte du temple.
Alors, tel un vieux loup gris, je tournai en rond dans la cour extérieure, poussant de lugubres hurlements. Et il me fut répondu par la lamentation de centaines de milliers de loups, grave et sépulcrale comme si elle jaillissait des entrailles de la terre.
Lorsquil fut minuit, jentrai à nouveau dans le sanctuaire et y célébrai le rituel.
Comme je leffectuais, je menflammai dun infini désir de lInfini que je laissai librement bondir en moi, véritable lion. Le Voile se mit précisément à luire rouge comme sil était éclairé par quelque feu de lenfer. Jarrivai au moment de lAssomption, mais au lieu de masseoir calme et insensible, distant, réservé, je réunis toutes mes forces et me jetai follement contre le Voile, lagrippant des deux mains. Or le Voile était tissé dor, trois mille fils retordus; épais dun empan ! Mais je mis toute ma force à le déchirer transversalement, et (car elle aussi y mettait toute son énergie) il se rompit dans un rugissement de séisme. La splendeur de son visage maveugla, jaurais dû tomber mais elle se saisit de moi et apposa ses divines lèvres contre les miennes, me consumant de léclat de son regard. Des gémissements sortirent de sa bouche, sa gorge se noua et elle versa damoureux sanglots, sa langue me pénétra tel un trait solaire frappant les palmeraies, mes habits tombèrent, racornis, et nous nous étreignîmes chair contre chair. Détrange façon sempara-t-elle de moi corps et âme, senroulant autour de moi et en moi telle la Mort dévorant un humain.
Mon être sintensifiant encore et encore, ma conscience sélargissant jusquà ce que je devienne toute la Nature reconnue comme une, perçue comme une, comprise comme une, par moi formée, faisant partie de moi, distincte de moi tout cela au même instant et simultanément lextase de lamour devenant colossale, tour sélevant jusquaux étoiles, océan à même de noyer le soleil...
Je ne peux vous en dire plus... mais dans les rues les gens ramassèrent des pommes dor tombées de branches invisibles, et dinvisibles échansons versaient du vin à tous, du vin étrange qui guérissait de la maladie et de la vieillesse, du vin qui, versé dans la bouche des cadavres (pourvu que lembaumeur nait point commencé son uvre), les ramenait jeunes et en parfaite santé du sombre royaume.
Quant à moi, jétais comme mort dans les bras de la sainte Voilée non, plus Voilée ! tandis quelle jouissait de moi dix fois, un millier de fois. Dans cet ouragan de passion, toute ma force était paille sujette au simoun.
Cela ne maffaiblit point et au contraire me fortifia. Je tins bon en dépit de mes côtes qui se fêlaient. Et bientôt je remuai, comme si sa force sétait épanchée en moi. Je rejetai alors sa tête en arrière et mimposai à elle, menfonçai en elle, comète qui de sa corne empale le soleil ! Et mon souffle saccéléra entre nos lèvres, ses gémissements faiblirent, cessèrent dêtre ceux dune bête sauvage quon torture pour devenir ceux dune enfant à lagonie.
Néanmoins, en proie à une délirante soif de conquête, je me pressai contre elle et lui livrai bataille. Jécartai ses bras et les clouai au sol, puis les croisai sur sa poitrine, la réduisant ainsi à limpuissance. Et je devins pareil à un grandiose serpent de feu, lenveloppant et létouffant dans mes anneaux.
Jétais le maître !...
Il y eut comme une grande clameur qui se mit à croître, toute proche : je devins conscient de lunivers étriqué, de cela qui nous semble à part de nous tant que nous nous coupons de lui.
Les hommes sécrièrent : " Le temple est en feu ! Le temple dAsi la Voilée est la proie des flammes ! Il est embrasé, le grand temple qui fit la gloire de Thèbes ! "
Je desserrai alors mes anneaux et pris lapparence dun grandiose faucon doré. Et je lui dis une ultime parole, une parole pour la ressusciter dentre les morts !
Et soudain ! Plus dAsi, mais Asar !
Son habit était blanc, constellé détoiles rouges, bleues, jaunes. Il était dallure jeune et tenait en ses mains le fouet et la houlette. Ainsi apparut-il comme le temple sécroulait autour de nous, et nous restâmes là, immobiles.
Je ne savais pas quoi dire.
Et à présent le peuple de la ville nous assaillit, et pour la plupart dentre eux ils mauraient tué.
Mais le grand et sage Dieu Thoth, à tête dIbis, avec son némès indigo, sa couronne Atef, son bâton de Phénix, son Ankh démeraude, son pagne magique aux Trois couleurs; oui, Thoth, Dieu de la Sagesse, dont la peau est fauve orangée comme sil brûlait dans une fournaise, nous apparut, bien visible de tous. Et le vieux Mage du Puits, que personne navait plus vu en sortir depuis près de soixante ans, se trouvait au centre, et il cria dune voix forte :
" LÉquinoxe des Dieux ! "
Et il se mit à expliquer comment la Nature ne devait plus être lobjet du culte de lhomme, et comment elle devait être remplacée par lHomme lui-même, lhomme passant par la souffrance et la mort, lhomme dans sa purification et sa perfection. Et il récita comme suit la Formule dOsiris, telle quelle nous est jusquà aujourdhui parvenue grâce aux Frères de la Croix et de la Rose :
" Car Asar Un-nefer a dit :
Celui qui en présence des Dieux savère parfait a dit :
Voici les parties de mon corps, rendues parfaites par la souffrance, glorifiées par lépreuve.
Car le Parfum de la Rose agonisante est le soupir réprimé de ma douleur;
Le Rouge Brasier est lénergie de mon intrépide Vouloir;
La Coupe de Vin est leffusion sanglante de mon cur, sacrifié pour la régénération;
Et le Pain et le Sel sont les Fondations de mon Corps
Que je détruis afin quelles soient renouvelées.
Car je suis Asar triomphant, et même Asar Un-nefer le Justifié !
Je suis Lui qui est vêtu du corps de chair,
Mais en Qui réside néanmoins lEsprit des Dieux puissants.
Je suis le Seigneur de Vie, triomphant de la Mort; qui communie avec moi ressuscitera avec moi.
Je suis Celui qui manifeste dans la Matière ceux qui demeurent dans lInvisible.
Je suis purifié : je me dresse dessus lUnivers : je suis son Réconciliateur avec les Dieux éternels : je suis Celui qui rend parfaite la Matière; et sans moi lUnivers nest point ! "
Il dit tout ceci et exposa les sacrements dOsiris devant tous, et dune certaine manière, occulte, tous communièrent symboliquement. Mais moi ! Dans le Parfum de la Rose agonisante, je percevais surtout la perfection de lamour de ma dame, la Voilée, que javais conquise et tuée dans la conquête !
Quoi quil en soit, le vieux Mage me fit revêtir (car jétais toujours nu) la robe dun Prêtre dOsiris. Il me donna les habits de lin blanc, la peau de léopard, le bâton et lankh. Il me donna aussi la houlette et le fouet, et me ceignis de la ceinture royale. Il posa sur ma tête le serpent sacré Uraeus en guise de couronne puis, se tournant vers la foule, lui cria :
" Contemplez le Prêtre dAsar pour Thèbes !
" Il vous exposera le culte dAsar, et vous lécouterez ! "
Puis, avant même que quelquun eût le temps de lui crier dattendre, il disparut.
Je congédiai la foule. Jétais seul avec le Dieu mort, avec Osiris, Seigneur de lAmenti, victime de Typhon, proie dApophis...
Oui, jétais vraiment seul !
CHAPITRE V
Je fus pris dune immense fatigue et tombai comme mort aux pieds dOsiris. Toute connaissance des choses terrestres sétait enfuie de moi et jentrai dans le royaume des morts par la porte de lOuest. Car le culte dOsiris consiste à lier la terre à lOuest, cest le culte du Soleil Couchant. À travers Isis, lhomme acquiert la force de la nature et par Osiris il acquiert la force résultant de la souffrance et de lépreuve. Et, de même quun athlète entraîné est supérieur au sauvage, la magie dOsiris est plus puissante que celle dIsis. Et ainsi mes pratiques nocturnes, effectuées à linsu de mes tuteurs qui voulaient féminiser mon esprit, mavaient-elles donné le pouvoir de provoquer ce formidable événement quest un Équinoxe des Dieux.
Pareillement, des milliers dannées plus tard, ma secrète rébellion contre Osiris car le monde avait assez souffert ! était-elle destinée à engendrer un autre Équinoxe où le vigoureux, jeune et victorieux Horus remplacerait lAssassiné.
Je passai donc par ces incandescentes demeures de lAmenti, enveloppées dépaisses ténèbres, tandis que mon corps gisait extasié aux pieds dOsiris dans le temple en ruines.
Et le dieu Osiris envoya son étrange obscurité nous recouvrir, afin déviter que le peuple nous puisse voir ou déranger. Jévoluai alors dans lAmenti, en proie à une paisible félicité. Là, je fus confronté au dieu dévorant; là, mon cur fut pesé et jugé parfait; là, les quarante-deux Juges minvitèrent à franchir les pylônes dont ils avaient la garde; là mentretins-je avec les Sept, et avec les Neuf, et avec les Trente-Trois; et pour finir parvins-je à la demeure de la Sainte Hâthor, dans sa montagne mystique où, couronné, paré de guirlandes, je me réjouis à lextrême, ressortant par la porte de lEst, la Splendide porte, et regagnant la Terre de Khem, et la Cité de Thèbes, et le temple qui avait été celui de la Voilée. Je regagnai mon corps, nouant les liens magiques de la manière prescrite, et me relevai pour adorer Osiris par le signe quadruple. Et alors la Lumière dOsiris commença à poindre, parcourut la ville en tournoyant, abondante, et en poussant de grands cris; et le peuple se mit à ladorer, en proie à une immense terreur. En outre, ils écoutèrent leurs sages et vinrent offrir de lor, au point que le sol du temple en fut totalement recouvert; ils vinrent aussi offrir des bufs, tant que les cours du temple ne les pouvaient contenir; et aussi des esclaves, une véritable armée.
Je mesquivai et allai consulter les plus sages parmi les prêtres, les architectes et les sculpteurs. Je donnai des ordres pour que le temple soit dûment reconstruit. Par la grâce du dieu, tout se passa sans trop de problèmes, bien que je fusse conscient de quelque erreur dans le travail ou, si vous préférez, de quelque faiblesse en moi qui nuisait à mon souhait. Car, voyez-vous, je ne pouvais oublier la Voilée, mes jours de silence et de réclusion en Sa compagnie, la lente aurore de notre merveilleuse passion, lapogée de tout ce miracle dans sa ruine !
Comme arrivait le jour fixé pour la consécration du temple, je commençai à craindre quelque grande catastrophe. Pourtant, tout allait bien sans doute trop bien.
Les prêtres et le peuple ne se doutaient toutefois de rien. Le dieu témoignait dune exceptionnelle bienfaisance. Un dieu nouveau doit ainsi faire, sinon comment consoliderait-il sa position ? Les récoltes avaient quadruplées, le bétail était devenu huit fois plus important, toutes les femmes étaient fécondes oui ! on vit même des femmes stériles de soixante ans mettre bas des jumeaux ! , chagrin et maladie avaient déserté la ville.
Au grand jour de la consécration, laffluence des citoyens était considérable.
Le temple se dressait, splendide forteresse de noir granit. Sur les colonnes étaient ciselées de merveilleuses images de tous les dieux adorant Osiris; dextraordinaires fresques scintillaient sur les murs; elles narraient lhistoire dOsiris, sa naissance, sa vie, sa mort des mains de Typhon, la recherche de ses membres dispersés, la naissance dHorus et dHarpocrate, la revanche sur Typhon-Set, la résurrection dOsiris.
Le dieu lui-même était assis sur un trône encastré dans le mur. Il était dambre et de lapis-lazuli, incrusté démeraudes et de rubis. Il y avait des miroirs dor poli, dor bruni à laide de venin daspic asséché pour que meurent les esclaves qui les ouvragèrent. En effet, ces miroirs ne devant jamais avoir reflété de visage humain, les esclaves étaient à la fois aveuglés et voilés. Mais il était cependant préférable quils meurent.
La cérémonie débuta enfin. Par de splendides paroles, des paroles qui brillaient comme des flammes, je consacrai tous les présents, toute la ville de Thèbes.
Et je saluai le cortège des dieux, énergiquement, de sorte quils me répondirent par les échos de mon adoration. Et Osiris agréa mon adoration avec joie comme je déambulais aux quatre coins du temple.
Sensuivit la mystérieuse cérémonie de lAssomption. Je pris la forme du dieu et mefforçai de mettre mon cur à lunisson du sien.
Hélas ! hélas ! jétais en harmonie avec lâme défunte dIsis, mon cur était une flamme de beauté et de luxure élémentaires, je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas. Le ciel devint menaçant et de sombres nuées voilèrent le Firmament de Nu. De sinistres langues de foudre les déchirèrent, sans rien illuminer. Le tonnerre gronda, le peuple était terrifié. Osiris sassombrit dans son obscur sanctuaire, le mécontentement se lisait sur son front et son regard était celui dun souverain outragé. Puis, une colonne de poussière descendit en tournoyant de la voûte céleste, se dirigeant vers moi qui me tenais solitaire, presque provocant, au milieu du temple tandis que les prêtres et lassistance étaient partis au loin se cacher et se lamenter. Elle déchira la masse du toit comme sil avait été de chaume, faisant voler les blocs de granit jusque dans le Nil. Elle poursuivit sa descente en rugissant et se tordant comme un démoniaque et royal serpent à lagonie, sempara de moi et me souleva hors du temple. Elle memmena à des lieux de là, dans le désert, puis se dissipa et mabandonna avec mépris sur une dune. Je restai étendu là, hors dhaleine et hébêté, le cur ravagé par langoisse et la colère.
Je me levai pour proférer une puissante malédiction mais la fatigue eut raison de moi, et je retombai inconscient.
Lorsque je revins à moi, laube était proche. Je gagnai le sommet du monticule et regardai autour de moi. Rien que du sable, du sable partout. Exactement comme dans mon cur !
Le soleil se leva et mon seul guide devint la vision fugitive, à lEst, de ce que je pris pour un reflet de la vallée du Nil. Jempruntai donc sa direction et tout le jour luttai contre la chaleur atroce et le sable où senfonçaient mes pieds. La nuit venue, je tentai de dormir en raison de cette fatigue qui maccablait. Mais à peine étais-je couché que limpatience me faisait reprendre ma marche. Je faisais quelques pas en titubant puis trébuchais et mécroulais. Je ne réussis à dormir, peut-être une heure, quà laube et me réveillai gelé jusquaux os par ma propre sueur. Jétais si faible que je pouvais à peine lever la main, ma langue était gonflée et je ne pouvais donc saluer le disque solaire par ladoration habituelle. Mon cerveau avait perdu tout contrôle, je narrivais même plus à me souvenir des incantations qui auraient pu mêtre de quelque secours. Et dépouvantables créatures sapprochèrent; lune était un affreux démon-chameau, une brute obscène et immonde, lautre un noir singe au museau bleu et au derrière cramoisi, dépourvu de poils et couvert de croûtes, dont la lourde crinière était huilée et mise en ordre telle la chevelure dune splendide courtisane. Il me nargua en me faisant les avances propres à ce genre de femmes puis déféqua sur moi. Étaient présentes, en outre, menaçantes et terribles, dimmenses et ténébreuses formes démoniaques...
Javais oublié les mots de pouvoir à même de leur commander.
Le soleil réchauffant mes os gelés me tourmentait par ailleurs. Ma langue était tellement gonflée que je pouvais à peine respirer, mon visage devint noir et mes yeux exorbités. Les démons vinrent plus près, puisèrent de la force à ma faiblesse, se dotèrent de corps physiques, me malmenèrent, me pincèrent et me mordirent. Je ripostai et malgré ma faiblesse les combattis de mon mieux - mais ils mesquivaient aisément et leurs hurlements de rire résonnaient à mes oreilles, comme surgis de lenfer. Quoi quil en soit, je maperçus quils ne mattaquaient que dun seul côté, comme sils voulaient me pousser dans une direction précise. Mais jétais suffisamment sage pour laisser mon ombre derrière moi et leur rage redoubla lorsquils sen aperçurent, ce qui me rendit plus acharné encore dans mes manuvres. Ils changèrent alors de tactique et agirent comme sils voulaient mobliger à respecter ma décision, ce que je fis.
Jétais vraiment béni des dieux ! En effet, je découvris bientôt un plan deau près duquel se tenait un imposant palmier.
Je plongeai dans leau fraîche et mes forces revinrent graduellement. Je neus quà faire un signe de la main, le geste juste, et tous les démons sévanouirent. Une heure plus tard, jétais suffisamment rétabli pour évoquer mes amis aquatiques mes camarades les petits poissons et la nymphe du plan deau apparut, sinclina devant moi puis me cuisina les poissons à laide de ce feu qui rendait leau lumineuse, étincelante. Elle me cueillit aussi des dattes que je mangeai. Ainsi fus-je sérieusement rasséréné; et lorsque jeus fini de manger elle posa ma tête sur ses genoux et mendormit par son chant, car sa voix était semblable aux lacs se ridant sous les caresses du vent printanier, comme le bouillonnement dun puits ou le tintement dune source au travers dun lit de mousse. Elle était également capable de notes graves telle la mer se fracassant sur une côte rocheuse.
Je dormis longtemps, longtemps longtemps.
Et lorsque je méveillai, la nymphe était partie. Je me saisis dun petit écrin reposant contre mon cur, contenant certaines herbes sacrées, et en jetai quelques-unes dans le plan deau pour la récompenser de sa courtoisie. Et je la bénis au nom de notre dame Isis, de notre dame morte, et repris mon grand voyage, fortifié par ce merveilleux repas. Je ne savais cependant pas quoi faire, jétais pour ainsi dire mort bien quayant à peine vingt-deux ans.
Quallait-il donc marriver ?
Je continuai néanmoins et, gravissant une crête, contemplai enfin le vaste Nil, ainsi quune étincelante cité inconnue de moi.
Je demeurai sur cette crête et remerciai les puissants dieux du Ciel, les Éons dannées infinies, davoir pu aller aussi loin. Car, à la vue du Nil, une nouvelle vie commença à poindre en moi.
CHAPITRE VI
Je descendis la pente sans plus tarder et entrai dans la cité. Ignorant ce qui avait pu se produire à Thèbes et quelles nouvelles avaient pu sy propager, je nosais déclarer mon identité mais, cherchant et trouvant le Grand Prêtre dHorus, je lui fis un certain signe et lui dis que jétais un voyageur venu de Memphis, décidé à gagner Thèbes afin de rendre hommage au sanctuaire dIsis. Il était bien informé et me raconta que lancienne prêtresse dIsis, devenue prêtre dOsiris, avait été enlevée au ciel en témoignage de linsigne faveur du Dieu. Il me fut difficile de ne pas rire mais je me retins et lui répondis que je pouvais men retourner à Memphis, car jétais consacré à Isis et Osiris ne pouvait faire mon affaire.
Il me pria alors de rester et dêtre son invité, daller adorer Isis dans le temple quelle avait ici. Jacceptai et le brave homme me donna de nouveaux habits ainsi que des bijoux issus du trésor de son propre temple. Cest dailleurs là que je goûtai un doux repos, enfoncé dans des coussins moelleux, éventé par de jeunes gens munis de larges feuilles de palmier. Il menvoya également celle qui connaissait la danse du Sommeil. Lart de cette fille consistait à enchaîner des mouvements si raffinés que ny pouvait résister la conscience du public; et elle chantait tout en oscillant, de plus en plus bas comme ses mouvements se ralentissaient de plus en plus, jusquà ce que le spectateur se dissolve dans une félicité réparatrice, dans un rêve tout de délicatesse.
Lorsquil dormait enfin, elle se penchait sur lui, à limage de Nuit, Dame des Étoiles se courbant au-dessus de la terre noire, et murmurait détranges rythmes à son oreille, de secrètes paroles, grâce auxquels son esprit était ravi au royaume dHâthor ou de telle autre magnifique déesse. Et là, en une seule nuit, il récoltait une moisson de repos comme nen offrait jamais les champs du sommeil humain.
Je me réveillai à laube, et la trouvai qui toujours veillait sur moi, me regardant dans les yeux en souriant tendrement et en roucoulant de manière infiniment douce, Elle méveilla à vrai dire par un tendre baiser, car il est dans cet Art un moment précis pour sombrer dans le sommeil et un autre pour en sortir, moments quelle était habile à déceler.
Je me levai elle senfuit comme passe un oiseau et mhabillai avant daller rejoindre mon hôte en compagnie duquel je gagnai bientôt le Temple dIsis.
Le rituel me sembla identique à celui que je connaissais, à une seule différence près. Faire intrusion durant la cérémonie nétait pas puni de mort à moins dêtre profane. Les prêtres dun certain rang initiatique y pouvaient assister sils le désiraient. Je voulais à nouveau contempler ce merveilleux scintillement du Voile et fis au Grand Prêtre un signe qui me parut suffire. Il en fut tellement ébahi que, tel un nain évaluant Hercule, il se persuada que jétais quelque saint inspecteur ou envoyé des Dieux eux-mêmes. Je ne le détrompai point et sur ces entrefaites nous pénétrâmes plus avant et nous postâmes derrière les colonnes, invisibles, dans la position dusage.
Le hasard voulut que la Grande Prêtresse ait aujourdhui décidé de célébrer elle-même la cérémonie.
Cétait une grande femme brune, fort majestueuse, aux membres vigoureux comme un homme. Elle avait le regard fixe et perçant du faucon, un front impérieux. Lors de lAssomption de la forme Divine, elle se rapprocha du Voile et lui parla si bas que nous ne comprîmes point ses paroles; mais celles-ci semblaient empreintes dune redoutable intensité, dune passion nouant ses muscles au point que ses bras se tordaient comme des serpents blessés. Les veines de son front enflèrent et lécume lui vint aux lèvres. Nous crûmes quelle allait mourir, son corps senflait, vibrait; et pour couronner le tout un épouvantable cri séchappa de sa gorge, inarticulé, affreux.
Le Voile scintilla durant tout ce temps dune manière quelque peu ténébreuse. Lair retentissait dune musique sauvage et insensée dont la singulière magie déchirait nos oreilles. Cela ne ressemblait à rien que jaie entendu auparavant. La Prêtresse sarracha enfin au Voile et quitta le sanctuaire en titubant comme une ivrogne. Elle soupirait et sanglotait, ses ongles creusaient de sanglants sillons dans ses flancs humides.
Elle remarqua soudain notre présence : dune seule gifle elle renversa mon compagnon à terre il est interdit de résister à la Prêtresse en proie à lExtase de lUnion puis fondit sur moi comme une bête féroce et planta ses dents dans mon cou, mentraînant dans sa chute. Elle relâcha sa prise et mon sang jaillit, ses yeux étincelants le fixèrent et semplirent dune joie étrange; elle mempoigna et me secoua telle une lionne sacharnant sur sa proie. Ses mains étaient musclées, avec de puissantes articulations; elle avait la force de liens dacier. Sa vigueur était néanmoins celle dune mortelle et elle haleta bientôt comme sur le point de mourir noyée. Son corps se détendit et tomba inanimé contre le mien, sa bouche rivée à la mienne dans un effroyable baiser. Effroyable, car comme je le lui rendais, presque machinalement, le sang jaillit de ses narines et maveugla. Si bien quà mon tour, plus mort que vif, je sombrai dans lextase, dans la béatitude. Jen fus tiré par le Grand Prêtre dHorus. " Viens, " me dit-il, " elle est morte. " Je me dégageai de cette pesante folie le corps sagitait convulsivement comme je le retournais et baisai les lèvres écumantes car elle était dans la mort incroyablement belle, indescriptiblement joyeuse. Jallai ensuite, titubant, jusquau Voile et le saluai de toutes mes forces, de sorte quil scintilla par lintensité de mon seul vouloir. Puis je men retournai et accompagnai le Grand Prêtre jusquà sa demeure.
Je dus paraître étrange en traversant la cité, couvert du sang de cette sainte sorcière.
Mais personne nosa lever les yeux sur nous qui avancions sans mot dire. Lorsque nous parvînmes à sa maison, il maffronta, sévère.
" Alors, mon fils ? "
Et moi, las de la sottise du monde et de linutilité des choses, lui répondis en ces termes :
" Père, je retourne à Memphis. Je suis le Mage du Puits. "
Mais il connaissait ce dernier et me rétorqua :
" Pourquoi ce mensonge ? "
Et je lui dis : " Je suis venu au monde où tout discours est faux, où tout discours est vrai. "
Il me fit alors révérence, se prosternant quatre-vingt-dix-neuf fois face contre terre.
Je le repoussai avec mépris, lui ordonnant : " Fais-venir la danseuse du Sommeil car demain matin je men retourne à Memphis. "
Elle vint. Je la maudis et mécriai : " Sois danseuse de lAmour ! "
Ce qui advint. Et je la pénétrai, et la connus. Au matin je me ceignis et montai à bord de la majestueuse embarcation du Grand Prêtre. Là, me couchai sur lor et la pourpre et fus diverti par les luths et les lyres et les perroquets, par les noirs esclaves et le vin et les fruits délicieux, jusquà mon arrivée en cette sainte ville de Memphis.
Jappelai alors les soldats de Pharaon et fis mettre à mort, cruellement, tous ceux qui mavaient escorté, puis mis le feu à lembarcation que je laissai dériver sur le Nil alors que se couchait le soleil, si bien que les flammes effrayèrent les stupides citoyens. Je fis tout cela, et aussi dansai-je nu dans ma folie, traversant la ville, arrivant enfin jusquau Vieux Mage du Puits.
Et, hilare, je lui jetai une pierre en lui criant : " Résous-moi lénigme de ma vie ! "
Et il ne répondit point.
Je précipitai alors sur lui un énorme rocher. Jentendis ses os se briser et lui criai, moqueur : " Résous-moi lénigme de ta vie ! "
Mais il ne répondit point.
Alors je détruisis le mur du puits et incendiai la demeure à laide du feu que jy trouvai, lequel népargna point serviteurs mâles et femelles.
Et nul nosa men empêcher car je riais et exultais dans ma folie. Oui, en vérité, je riais, riais, riais.
CHAPITRE VII
Puis, guéri de ma folie, jemportai le trésor de ce vieux Mage, tout ce quil avait amassé durant de longues années et personne nosa me dire quoi que ce soit. Il était prodigieux, magnifique, il y avait plus dor que nen pouvaient convoyer douze bufs, des rubis spinelles, des sardoines, des béryls, des chrysoprases; des diamants et des saphirs étoilés, énormément démeraudes, de belles et grosses topazes, des améthystes. Il possédait également une représentation de Nuit plus haute quune femme, de lapis-lazuli moucheté dor, qui avait été sculptée par une main incroyablement talentueuse. Et il détenait encore la gemme secrète dHadit quon ne trouve point sur terre, pour lexcellente raison quelle est invisible tant que le reste est encore observable.
Je me rendis ensuite au marché pour y acheter des esclaves. Jachetai notamment un colosse, un Nubien plus noir que le granit poli à la lumière des étoiles, droit et grand comme un jeune palmier et néanmoins plus hideux que le Singe de Thoth. Jachetai aussi un jeune homme pâle venu du Nord, un garçon naïf aux manières futiles et langoureuses. Mais sa bouche brûlait comme le soleil couchant lorsque soufflent les tempêtes de poussière. Il était si blême et si faible que tous le méprisaient et se moquaient de lui, le traitant de fille. Il sempara alors dun fer chauffé à blanc et sen servit pour inscrire mon nom en hiéroglyphes sur sa poitrine et il ne cessa pas une seconde de sourire tandis que la chair fumait et sifflait.
Notre imposante caravane se mit en route, décidée à gagner un ilôt rocheux du Nil, difficile daccès en raison des eaux qui écumaient et tourbillonnaient dangereusement à ses abords. Et là nous bâtîmes un petit temple en forme de ruche, dont lintérieur était dépourvu dautel et de sanctuaire car en ce temple le dieu serait sacrifié à lui-même.
Cest moi qui fis le dieu; je poudrai dor ma chevelure et lornai de fleurs. Je dorai mes paupières et vermillonnai mes lèvres, me dorai mamelles et ongles et, Dieu et Victime tout à la fois, me trouvais-je quotidiennement immolé à cette étrange créature qui nétait autre que moi. Je fis grand prêtre mon géant nubien et dotai sa baguette de puissance magique, ce afin quil puisse correctement accomplir mes rites. Ce quil fit afin que de nombreux hommes de Memphis ou dautres villes plus lointaines délaissent leurs dieux et viennent ici sacrifier. Je nommai aussi le pâle adolescent gardien du Temple, et il me jura fidélité jusquà la mort.
Or voici quune grande rumeur sempara de Memphis, et nombre de femmes lascives et insensées se récrièrent contre nous. Lagitation fut si conséquente quune importante troupe de femmes quitta la cité pour nous rejoindre sur lîle. Elles tuèrent le pâle garçon qui leur barrait lentrée épée à la main. Elles écumaient et cest alors que je vins, glorieux, les affronter. Elles hésitèrent et, à ce moment précis, je leur infligeai un mortel prurit, si bien quelles coururent en tous sens, déchirant leurs habits et lacérant leurs chairs sous les yeux de mes gens qui rirent jusquà en avoir mal.
Pour finir, toutes moururent en raison de lépuisement et du sang perdu. Quatre cent deux femmes périrent dans le grand carnage de cette journée-là. De sorte que le peuple de Memphis fut en paix pour quelque temps.
Pour ma part, je pleurais la perte du jeune esclave. Je fis embaumer son corps de la manière qui sied aux rois puis disposai son sarcophage dessous une haie de lances et de poignards à la porte de mon temple, et ainsi ny eut-il plus dautre accès à ma gloire.
Jamais esclave ne fut pareillement honoré.
Je demeurai là les trois cycles de la saison; et au terme de cette période le grand prêtre mourut.
Car il était un étrange et terrifiant rite quil me fallait accomplir; et personne dautre que moi, personne qui ne soit fortifié par la puissance magique, naurait pu sen charger.
Je me lassai néanmoins de ce perpétuel sacrifice. Jétais devenu blême, usé, de la glace remplaçait le sang de mes veines. Jétais à la vérité presque devenu un dieu...
Aussi memparai-je du corps de mon Nubien puis tuai quatre jeunes filles et comblai de leur sang tous les espaces creux de son corps. Puis je scellai ce corps de huit sceaux; et le neuvième était mien, centre de ma divinité.
Il se releva lentement, comme hésitant, tandis que je proférai les effroyables paroles :
A ka dua
Tuf ur biu
Bi aa chefu
Dudu ner af an nuteru !
Je le touchai ensuite de ma baguette et il ressuscita tout à fait. Nous rentrâmes et il accomplit (bien quen silence) une dernière fois la cérémonie. Lorsquelle fut achevée, il gisait à terre ratatiné comme une vieille outre et néanmoins son sang ne me fut daucune utilité. Jétais plus glacial encore quauparavant. Mais cette fois jétais vraiment Osiris car ma peau irradiait des flammes de gloire froide et sombre, et mes yeux étaient dune extatique fixité.
Oui, par Osiris, je le jure ! Aussi vrai que les yeux des hommes ne cessent de bouger, les miens demeuraient immobiles !
Je décidai de bouger et fis mon entrée dans Memphis, le visage voilé, guidé par des esclaves.
Je visitai un par un tous les temples, écartant mon voile : tous les humains mouraient sur-le-champ et les dieux chutaient de leur emplacement pour sécraser au sol.
Je remis mon voile puis gagnai la place du marché où je me mis à chanter à tue-tête :
Mort et désolation et désespoir !
Jélève la voix et tous les dieux sont muets.
Je dévoile ma face et tout ce qui vit disparaît,
Jinspire lexistence et expire lanéantissement.
Jentends la musique du monde, et son écho est Silence.
Mort et désolation et désespoir !
Nous sommes à la croisée des chemins : lÉquinoxe des Dieux est achevé.
Un autre jour : une autre voie.
Que ceux qui mentendent shumilient devant moi !
Mort et désolation et désespoir !
Jarrachai alors mon voile et les froids éclairs de mort firent leur uvre, la populace décéda à linstant.
À lexception dun jeune joueur de flûte qui, aveugle, navait pu croiser mon regard et avait donc survécu.
Je lui tins alors ce langage :
" Va, convoque les prêtres et le peuple, tous ceux qui restent. Quils bâtissent un nouveau temple à la gloire dOsiris le Dieu des morts, et quils vouent un culte aux morts pour toujours et à jamais. "
Après mêtre exprimé de la sorte, je quittai la ville en compagnie de deux esclaves que javais laissés à sa porte puis nous gagnâmes le Nil. Je demeurai de nombreux mois à pleurer ma Dame Isis dans une caverne proche de la berge. Bien que layant vengée par divers actes épouvantables, je ne lavais point ramenée à la vie. Qui plus est, lamour que je lui portais était pour ainsi dire mort : mon cur ne battait plus à son évocation. Je dirais que ma passion errait comme une âme sans sépulture, glacée, ballottée par les vents !
Les actes que je commis durant cette période sont presque trop affreux pour être narrés. Car je fis grande pénitence dans lespoir de vivifier ce principe mort en moi que les hommes appellent lâme.
Je maffamais honteusement, de la manière qui suit. Mentourant tout dabord dune abondance de mets succulents, renouvelés dheure en heure, je me condamnais toutefois à ne me sustenter que dun peu dail et de sel, avec un peu deau dans laquelle on avait égrugé de lavoine.
Si le désir de goûter à lambroisie présente menvahissait, je mentaillais à laide dune pierre affilée.
Jallumai en outre un grand feu dans la grotte, et les esclaves titubaient et défaillaient en sapprochant. Je suffoquais en raison de la fumée et vomissais en permanence un mucus noir et puant, cadeau de mes poumons çà et là souillés décume sanglante.
Je laissai également ma chevelure croître et devenir fort longue, jusquà héberger la vermine. Et lorsque je mallongeais pour dormir, ce qui nadvenait jamais avant que ma langue enflée et mon gosier noirci ne soient plus en mesure de hurler le nom de ma Dame morte, jenduisais mes membres de miel pour que les rats de la grotte les puissent ronger durant mon sommeil. Javais pour oreiller la dépouille dun lépreux et lorsque cette âme morte qui était la mienne parvenait quelque peu à simprégner damour pour ma Dame, jembrassais et caressais ce cadavre et lui chantais de tendres mélopées, dans une gracieuse débauche de paroles et de gestes. Tout ceci interpellait vivement mon âme, lui reprochant sa faiblesse et sa corruption. Lamertume et limpureté de ma vie souvent franchissaient les limites de la sensibilité et durant des heures entières une furieuse tornade de rire memportait. Mes esclaves nosaient plus mapprocher et il marrivait alors de me précipiter dehors pour en saisir un par les cheveux et le tirer à lintérieur, puis de lui faire subir une torture raffinée. Cela métait fort utile. Jinventais datroces supplices qui, sils tourmentaient suffisamment la victime, devenaient dignes que je les expérimente. Ainsi enfonçais-je sous mes ongles des aiguilles plongées dans la vase du Nil, dans lespoir que les plaies ulcérées entraînent un écurant martyre. Ou alors je tailladais la chair puis larrachais par lambeaux; mais cette méthode, bien quoffrant sur lesclave des résultats intéressants, ne métait daucun secours, ma peau étant devenue par trop cassante. Je pris aussi un lourd morceau de bois pour en marteler les os à laide dune pierre, blessant la membrane les recouvrant jusquà ce quelle se tuméfie. Je dus également abandonner le procédé car le membre de lesclave enfla, commença à pourrir et prit une teinte verdâtre et lesclave mourut dans deffroyables souffrances.
Je fus alors contraint de me guérir magiquement et ce fut une grande perte dénergie.
Jétais donc "loin de nager dans le bonheur" bien que mes lèvres pendillassent sur mon visage émacié comme deux gousses de haricot noircies et desséchées, et quil ny eût plus un seul pouce de ma peau exempt de cicatrices.
Jarrivais néanmoins au terme de mon épreuve car le peuple de Memphis, sétonnant des fréquentes emplettes de lépreux morts toujours effectuées par le même esclave, commença à répandre comme il est de coutume chez lignorant de stupides rumeurs. Ils finirent par déclarer ouvertement : " Il y a un saint ermite dans cette vieille grotte près du Nil. " Du coup, toutes les femmes stériles de la cité vinrent furtivement me visiter dans lespoir que ma sainteté les rende fécondes.
Mais je leur présentai mon lépreux mort et leur dis : "Laissez-moi tout dabord engendrer des enfants de celui-ci et après je moccuperai de vos histoires." Elles napprécièrent pas outre mesure mais ne me laissèrent pas en paix pour autant et proclamèrent à leur retour que jétais une monstruosité, une goule, un vampire. ...Et là-dessus toutes les belles jeunes femmes de la cité quittèrent leurs amants et maris pour venir me voir, les bras chargés de présents. Mais je les amenai devant le cadavre du lépreux et leur dis : " Lorsque vous serez aussi belles que lui, et que je serai las de sa beauté et de son charme, alors vous octroierai-je du plaisir. "
Elles semportèrent violemment contre moi et incitèrent les hommes de la ville à massassiner. Mais jétais peu enclin à faire montre de ma force magique et, dès que jen eus vent, me rendai au temple dOsiris que je leur avais fait bâtir et my réfugiai. Et là je parvins à la félicité car, unissant ma conscience à celle du dieu, jy gagnai lexpansion de cette conscience. Le royaume des morts nest-il pas un puissant royaume ?
Jen vins à percevoir lunivers comme sil sagissait dun point unique de néant infini qui était néanmoins sujet à une extension infinie; et je devins cet univers pour my dissoudre totalement. En outre, mon corps quitta le sol et séleva dans les airs, échappant à lombre de la terre qui tournait loin sous moi; et de tout cela je navais conscience car jétais toutes ces choses et aucune delles. Jétais de plus uni à Isis, mère dOsiris, étant désormais son frère et son seigneur.
Pauvre, pauvre de moi ! car tout cela nétait que partiel et inexact; et je ne comprenais pas réellement ce qui se produisait.
Tout ce que je savais, cest que je devais retourner à Thèbes et y régner comme Grand Prêtre dOsiris, cessant de macharner à obtenir linouï et limpossible, mais en vivant paisiblement et patiemment, en profitant pleinement de mes dignités et de mes richesses, comme nimporte quel homme.
Je perçus également que de même quIsis est Dame de toute la Nature, des vivants, et quOsiris est Seigneur des Morts, un jour viendrait où Horus, le Seigneur à tête de Faucon, apparaîtrait comme un jeune enfant, symbole de toute Nature et de toute Humanité hissées par-delà Vie et Mort, sous la suprême autorité de Hadit qui est Énergie et de Nuit qui est Matière bien quil sagisse dune Énergie et dune Matière transcendant toutes les humaines conceptions que nous ayons delles.
Je reviendrai sur ce point lorsque le temps sera venu.
CHAPITRE VIII
Imaginez mon retour à Thèbes ! Jétais si marqué et si abîmé, bien que nayant pas trente ans, quils ne me reconnurent pas. Je me fis admettre comme serviteur au temple dOsiris et devins fort apprécié des prêtres car je chantais en lhonneur du dieu et lui composais des hymnes, cela grâce à ma puissance magique eux croyaient la chose naturelle. Il fallut moins dun an pour quils commencent à envisager de madmettre à la prêtrise. Le Grand Prêtre du moment était un homme jeune et vigoureux, portant une barbe noire à la manière dOsiris, avec la mouche équarrie descendant sous le menton. Ils lavaient choisi après que jaie été emporté par le tourbillon. La Grande Prêtresse était une femme de quarante-deux ans, une brune splendide, dotée de yeux étincelants et affichant une expression sévère. Son corps était cependant svelte et agile comme celui dune adolescente. Or, il advint que ce fut à moi de lui présenter les funèbres offrandes : chair doies et de bufs, pain et vin. Elle me parla tout en mangeant car elle fut avisée par son art que je nétais pas un serviteur ordinaire. Je lui présentai alors le Bâton consacré de Khem que je tenais de mon père et le plaçai dans sa main. Elle sen émerveilla car ce Bâton témoigne dune grande et sainte initiation, si rare quune seule femme, à ce quon dit, sen trouvât jamais digne. Elle se réjouit davoir pu poser les yeux sur lui et me pria de garder le silence quelque temps, car elle avait un dessein à accomplir. Je levai alors le bâton sur elle afin de lui octroyer la bénédiction aux quarante-neuf pétales, ce qui déclencha en elle une illumination dont elle fut ravie. Je me laissai choir à ses pieds car elle était la Grande Prêtresse et les baisai respectueusement avant de me retirer.
Trois jours plus tard, comme je lappris, elle fit mander une prêtresse excellant dans certains arts mortels et exigea delle un poison. Et lautre lui donna, en ajoutant : " Puisse le Grand Prêtre du Dieu des morts descendre rejoindre les morts ! " Cette perverse Grande Prêtresse mélangea ce poison aux sacrements eux-mêmes et cette ruse mit un terme à son existence. Elle sarrangea par la suite pour quun jeune et stupide malpropre devienne grand prêtre, se disant en elle-même : " Assurément le dieu léconduira. " Mais, à son ordre, la Statue du dieu rayonna comme de coutume. Et dès lors elle sut et nous sûmes tous que la gloire sen était allée; les prêtres ayant échangé la véritable cérémonie contre quelque artifice frauduleux.
Elle en fut profondément découragée car, bien quambitieuse et perverse, elle était dotée dun grand pouvoir et de grandes connaissances.
Au lieu den faire usage, elle décida dopposer la ruse à la ruse. Et suspectant (à juste titre) quel était lastucieux responsable de la chose, elle soudoya le Grand Prêtre pour quil fasse marche arrière, sexposant ainsi au déshonneur. Mais ce dernier néprouvait pas la moindre honte, il mentait en affirmant que le Dieu brillait plus fort que le Soleil, et il mentait sans crainte car Maât, la Dame de Vérité, navait pas sa place dans ce temple. Toute cette infamie résultait de mon prime échec à emprunter la forme du dieu et de leur mensonge sacerdotal comme quoi javais été enlevé au ciel en vertu de ma sainteté. En outre, les richesses quils avaient escompté acquérir par leur duperie ne leur échurent point car Pharaon était passé à Thèbes et avait fait main basse sur les coffres du temple. Du coup, ils étaient pauvres. Ils allèrent jusquà échanger de bons augures contre de lor, lesquels se révélèrent désastreux pour les acheteurs. Ils vendirent alors des malédictions et semèrent la discorde dans toute la ville. Cela accrut la misère du peuple dont les dons au temple se firent plus rares encore.
Car il nest pire folie que lappât du gain.
Autrefois, les dieux dispensaient leurs grâces et les gens venaient librement partager labondance qui était leur.
Et maintenant les prêtres semaient de la menue paille et ne récoltaient que du vide.
Jattendais en silence de voir ce qui allait se produire. Et cette prêtresse imbécile ne pouvant trouver dautre expédient que celui déjà employé ! Mais le jeune crétin avait deviné comment était mort son prédécesseur et il ne toucha point aux sacrements, il fit juste semblant.
Elle mappela alors car jétais dores et déjà ordonné prêtre pour me demander conseil, et elle avait en tête de me substituer à lui.
Elle me prépara un somptueux festin et, lorsque nous fûmes dans un état divresse avancée, posa sa tête contre ma poitrine et me dis de merveilleuses paroles damour, à moi qui avais aimé la Voilée ! Je simulai une folle passion et la fis boire outre mesure, de sorte quelle proféra de grandes paroles qui écumaient comme autant de poissons morts et gonflés à la lumière du soleil; nous gouvernerions Thèbes et peut-être même évincerions Pharaon et nous emparerions de son trône et de son sceptre. Et pourtant la pauvre sotte ne savait même pas comment se débarrasser de cet idiot de grand prêtre, quelle avait elle-même nommé ! Je lui dis en guise de réponse : " Emprunte la Forme dOsiris, et tout ira bien dans le Temple dOsiris. " Cétait une manière de me moquer, car je len savais incapable. Elle était cependant tellement enivrée de vin et damour quelle effectua séance tenante le rituel dAdoration et dAssomption.
De belle humeur, je fis usage de ma puissance magique et la fis devenir Osiris pour de bon, si bien quelle se mua en bloc de glace et que ses yeux fixèrent...
Elle voulut hurler de terreur mais ny parvint pas car je lui avais imposé le silence de la tombe.
Durant tout ce temps, je simulai lémerveillement et applaudis, ce qui acheva de labuser. Las de rire à ses dépens, je la fis ressusciter. Elle ne savait quoi dire. Elle prétendit tout dabord avoir reçu un grand secret puis, se souvenant combien mon rang initiatique était supérieur au sien, se ravisa et nosa pas. Pour finir, effrayée, elle se jeta à mes pieds et avoua tout, plaidant quau moins lamour quelle éprouvait à mon égard était authentique. Peut-être était-ce vrai. Dans tous les cas, jaurais eu pitié delle car en vérité son corps était semblable à une fleur, blanc et pur, cela bien que sa bouche fût sévère et vigoureuse, et quon puisse lire la luxure dans ses yeux et la fourberie sur ses joues.
Je la consolai, pressant contre moi ce corps délicat, menivrant du vin de son regard, savourant le miel de sa bouche.
Je finis par lui conseiller dinviter le Grand Prêtre à un festin qui se déroulerait en secret et où je les servirais, revêtu de mes anciens habits de serviteur.
Il vint la nuit suivante et je les servis. Elle lui fit ouvertement des avances simulées, certes mais de manière suffisamment subtile pour quil se croie lion et la pensât daine. Il finit par nen plus pouvoir et lui tint ce langage : " Je te donnerai tout ce que tu veux pour un seul baiser de ta merveilleuse bouche. " Elle lui en fit prêter le serment par Pharaon étant acquis que ce dernier aurait sa tête en cas de parjure puis lembrassa, une fois seulement, comme si sa passion était celle du Nil en crue pour les bancs de sable quil dévore, puis elle bondit sur ses pieds et lui annonça : " Donne-moi en échange de ceci, ô mon aimé, ta charge de Grand Prêtre ! " Linstant daprès, elle était dans mes bras et me câlinait. Il en resta bouche bée, carrément déconfit. Puis il retira lanneau de sa fonction et le jeta à ses pieds, lui crachant une injure au visage avant de séclipser.
Or, tout en ramassant lanneau, je lui criai : " Que sera-t-il fait à celui qui insulte la Grande Prêtresse ? "
Il se retourna et répondit dun air morose : " Jétais le Grand Prêtre. " " Tu nas plus lanneau ! " lui hurla-t-elle, blême de colère et écumante de rage car linjure était de celles quon noublie pas !
Elle frappa la cloche et les gardes firent leur apparition. Sur son ordre, ils allèrent chercher le bourreau et les instruments du trépas puis nous laissèrent. Lexécuteur des hautes uvres enchaîna le condamné à la roue de fer par les chevilles, la taille et la gorge, puis lui sectionna les paupières afin quil ne puisse rien perdre de sa mort. Il lamputa par la suite de ses lèvres à laide de ses cisailles, commentant : " Par ces lèvres as-tu blasphémé contre la Sainte, la Fiancée dOsiris. " Juste après, il lui arracha les dents une par une, disant à chaque fois : " Cette dent taida à commettre un blasphème contre la Sainte, la Fiancée dOsiris. " Il extirpa sa langue à laide de ses tenailles et ajouta :
" Par cette langue as-tu blasphémé contre la Sainte, la Fiancée dOsiris. " Puis il brûla sa gorge avec de lacide méchamment corrosif, disant : " De cette gorge est issu un blasphème contre la Sainte, la Fiancée dOsiris. " Il se saisit dune barre de fer portée à blanc et anéantit sa virilité, commentant : " Puisses-tu être objet de honte, toi qui blasphémas contre la Sainte, la Fiancée dOsiris. " Il amena un jeune chacal pour quil se nourrisse à son foie, ajoutant : " Que les bêtes qui dévorent les charognes dévorent ce foie qui voulut blasphémer contre la Sainte, la Fiancée dOsiris ! " Puis le malheureux rendit lâme et lon exhiba sa dépouille dans un fossé de la ville où les chiens la vinrent dévorer.
Durant tout ce temps, ma dame badinait amoureusement avec moi, poussant de doux gémissements tout en fixant dans les yeux celui qui laimait, yeux où lon pouvait lire les infernaux supplices, ceux du corps le disputant sans cesse à ceux de lâme.
Et à ce quil me semble, par la grâce de Set, ceux de lÂme lemportèrent.
Bien que relatant froidement ceci des milliers dannées plus tard, je crois que jamais je nai connu félicité amoureuse qui soit comparable à celle vécue en sa compagnie, et à ce moment précis. Comme jécris, tout me revient en mémoire, franchissant la nuit des temps, chaque mot tendre, chaque baiser enchanteur (nos bouches se forçant obliques) dont elle sallaitait à mes lèvres défaillantes, chaque frisson de son corps délicat et vigoureux. Je me remémore chaque rouleau de sa chevelure dont les pierreries lornant piquaient telles des vipères; la pénétrante extase de ses ongles acérés sur ma chair, tantôt doux comme le velours, tantôt cruels et fantasques, ou encore, fous damour, sy enfonçant jusquau sang, comme ils folâtraient le long de mon épine dorsale. Mais je ne vis rien je le jure par Osiris ! Je ne vis rien dautre que le regard furieux de cette âme perdue se contorsionnant sur la roue.
En vérité, comme le bourreau emportait le cadavre, nous tombâmes à la renverse et demeurâmes au milieu des restes du festin, des carafes chavirées, du linge de table souillé, des lampes éteintes ou renversées, des coupes dor qui ciselées dimages obscènes erraient çà et là, des viandes qui délaissaient leurs plats incrustés de gemmes et répandaient leur jus, maculant la blanche exubérance du lin. Et nous au centre de tout cela, aux membres insouciants comme le vent, immobiles.
On aurait pu dire : la fin du monde est proche. Et dans cet irascible abîme de sommeil où javais plongé sans retenue demeurait néanmoins la douceur de savoir que javais gagné la main pour laquelle javais tout misé : jétais à Thèbes Grand Prêtre dOsiris.
Lorsque nous émergeâmes le lendemain matin, nous nous fîmes horreur, avec nos bouches de traviole, nos langues qui pendaient comme si nous étions deux chiens sur le point de mourir de soif, et nos yeux qui clignaient torturés par la lumière du jour, nos membres poisseux de sueur rance.
Nous nous levâmes et nous saluâmes lun lautre avec la dignité qui convenait à nos hautes fonctions, puis nous séparâmes afin de nous purifier.
Jallai à la Cérémonie dOsiris, et la farce honteuse fut jouée une dernière fois.
Mais je jurai dans le secret de mon cur de nettoyer le temple de sa chicane et de sa sottise. Jeffectuai à la fin de la cérémonie un puissant bannissement, un bannissement de toutes choses mortelles ou immortelles, de Nuit encerclant lEspace infini à Hadit Cur des Choses; dAmoun qui règne avant tous les Dieux au terrible Serpent Python qui se tient au terme des choses, de Ptah, dieu de lâme pure de léther, à Besz, la force brute de cela qui est plus grossier que la terre, nayant point de nom, qui est plus dense que le plomb et plus rigide que lacier, plus noir que lépaisse ténèbre de labîme et qui se trouve néanmoins en tout et nous environne tous.
Amen !
Et tout le jour je cogitai et mis au point une ruse qui rivaliserait avec celle employée par les blasphémateurs dOsiris, lequel était enfin devenu mon Dieu.
Oui, demain serait le jour de la vengeance !
CHAPITRE IX
Voici de quelle manière je my pris : jinspirai un Oracle à la Grande Prêtresse, et elle prophétisa, annonçant quOsiris ne serait pas satisfait de ses serviteurs tant quils ne seraient pas passés par les épreuves des quatre éléments. Or, ces rituels étaient depuis toujours associés à un degré bien précis de linitiation. Le chapitre était donc sérieusement inquiet mais, chacun se souvenant comment toute véritable magie était honteusement parodiée, le bruit courut quil sagissait là dune nouvelle ruse de la Grande Prêtresse visant à accroître la réputation de sainteté du temple. Et, leur bêtise les confortant dans cette opinion, ils y consentirent de bon cur et sen firent gloire. Je les enveloppai tous, un par un, des bandages mortuaires dOsiris, fixant à leur sein une image dûment consacrée du dieu ainsi quun talisman contre les quatre éléments.
Puis je les disposai lun après lautre en haut dune haute et étroite tour, en équilibre, si bien que le moindre souffle de vent serait garant de leur mort.
Ceux que lair épargna, je les jetai dans le Nil là où il est dangereux et rapide. Leau nen restitua que quelques-uns, lesquels jensevelis trois jours sous terre sans sépulcre ni cercueil, afin que cet élément leur puisse livrer bataille. Les rares qui survivèrent furent livrés à un feu de charbons.
Pour qui est préparé à ces épreuves (sétant préalablement mis à lunisson des éléments), elles sont simples. Il demeure immobile bien que la tempête se déchaîne sur la tour; il surnage aisément une fois dans leau; enterré, il sombre dans la transe; et pour finir ses bandages le protègent du feu bien que tout Thèbes vienne lattiser.
Mais tel nétait pas le cas de ce faux clergé Osirien. Sur les trois cents individus, neuf seulement firent laffaire. Jaidai toutefois par ma magie la Grande Prêtresse à sen sortir, car elle mavait considérablement diverti et je retirai un grand plaisir de lamour quelle me portait, plus sauvage que la fureur des quatre éléments réunis en un seul.
Je convoquai les neuf survivants, tous mâles, et leur donnai instructions et conseils pour quils forment une secrète fraternité à même détudier et enseigner la formule dOsiris, dont la suprême fonction consiste à initier lâme humaine. Ils devraient maintenir la discipline dans le temple par seul égard pour le peuple, tolérant nimporte quelle dépravation tout en sen abstenant eux-mêmes. Le corps nest-il point périssable, et la dépouille fort pure ? Lart de lembaumeur devrait également tomber en désuétude, et bientôt; car le monde était désormais sous lautorité dOsiris, lequel aime le charnier et la tombe.
Une fois tous les serments de cette fraternité secrète dûment prêtés, jassignai un rôle à chacun, tous devant présider à tel ou tel grade et celui affecté au plus bas se devant charger de sélectionner les postulants et gouverner le temple.
Jeffectuai ensuite la Cérémonie dOsiris, en mode invocatoire car javais dores et déjà fait justice de la machination impie; et le Dieu me répondit enfin, brillant dun éclat infini. Puis je révélai aux Prêtres qui jétais et ils se félicitèrent grandement quaprès toutes ces années le vieux mensonge soit aboli et que le maître réintègre enfin son poste.
Mais le dieu proféra un Oracle, que voici : " Cest la dernière fois que jirradie pareille lumière en Mon temple, car je suis le dieu de la Vie dissimulée dans la Mort. Et votre magie sera dorénavant une magie agissant secrètement en vos curs; et qui effectuera publiquement un miracle, vous saurez quil ment et parodie la Sagesse sacrée.
" Pour cette raison suis-je toujours enveloppé dun suaire blanc parsemé détoiles des trois couleurs actives; ces choses me dissimulent et qui Me connaît les a transcendées. "
Puis il nous convoqua tous un par un et murmura à chacun une formule secrète et un mot de pouvoir, relatifs aux grades auxquels je les avais affectés.
Mon tour venu, il me délivra la suprême formule et le suprême mot, le mot de soixante-dix-huit lettres et la formule aux soixante-cinq pétales.
Jentrepris alors séance tenante de parfaire la compréhension que javais de mon Dieu Osiris, afin de pouvoir appréhender son rôle dans lordre général du Cosmos.
Car qui voit le jour durant les années où règne un Dieu croit ce Dieu éternel, unique, seul. Mais celui qui naît à lheure où un Dieu périclite, à la mort dun Dieu et à la naissance dun autre, celui-là entrevoit un tant soit peu lordre des choses. Et il lui est nécessaire de pleinement appréhender ce changement de poste (car les dieux ne meurent ni ne ressuscitent, mais tantôt lun initie et lautre garde, tantôt lun est héraut et lautre consécrateur), son sens et son rôle dans le plan universel.
Cest pourquoi, en cette cinquième année de lÉquinoxe des Dieux (1908), où Horus vint remplacer Osiris, je cherche à la lumière de ma mémoire magique à pleinement comprendre la formule dHorus Râ Hoor Khuit qui est mon dieu et gouverne le monde sous lautorité de Nuit et de Hadit. Et de même quAnkh-f-na-khonsu me laissa la stèle 666 avec les clés de cette connaissance, je rédigerai moi aussi en hiéroglyphes la formule de la Dame au Bâton Fourchu et à la Plume, laquelle prendra possession de son trône et régnera à sa place lorsque la force dHorus sera épuisée.
Le culte des Dieux devait donc devenir secret et leur magie être dissimulée aux hommes. Ils devraient déchoir de leur position sous les yeux de ces derniers, et de petits rats gris viendraient rire deux sans que nul ne songeât à les venger, eux qui demeureraient indifférents et sans riposter. Il en résulterait cependant quun initié les pourrait connaître dune manière certes plus ardue mais infiniment plus riche et intime.
Dès ce moment, ma vie devint son propre sujet dattention. Je navais plus de temps pour les pratiques ascétiques comme pour les plaisirs et jabandonnai toute participation active au service du temple qui, purifié et régénéré, était devenu tout à la fois subtilement parfait et parfaitement subtil.
Tous navaient pas une compréhension exhaustive du changement qui sétait produit, auquel cas ils obéissaient et faisaient semblant de peur dêtre méprisés par leurs semblables. Et il advint que plus sotte et ignorante était une personne, plus elle feignait lentendement, si bien que le moins pieux apparaissait comme létant le plus comme on voit encore de nos jours.
Mais tout cela mindifférait car jétudiais sans cesse la nature dOsiris, me concentrant sur des symboles mystérieusement purs. Je compris pourquoi lon disait quIsis navait pu découvrir le Phallus dOsiris, et perçus par là même pourquoi il était nécessaire quHorus vint après lui dans la grande succession des Équinoxes. Je confectionnai en outre des talismans de pure lumière concernant Osiris et célébrai au grand jour toutes les cérémonies dinitiation à ses mystères.
Tout cela fut interprété par des sages puis traduit dans la langue du crépuscule et gravé dans la pierre comme dans la mémoire des hommes.
Ce grand effort pour appréhender le cours des événements tel que le conçoit le Destin ne laissait pas dattiser ma perplexité. Ainsi devrais-je laisser des images justes et intelligibles afin dilluminer lesprit de celui (moi ou un autre) qui viendrait à ma suite célébrer lÉquinoxe des Dieux au terme de lère dOsiris.
Comme cest aujourdhui le cas.
Je vécus donc trente-trois ans dans le temple dOsiris comme Grand Prêtre, et soumis tous les hommes à mon pouvoir. Je supprimai la fonction de prêtresse : Isis navait-elle pas échoué à retrouver ce vénérable Phallus sans lequel Osiris se trouve condamné à être un dieu dune telle tristesse ? Khemi devait donc disparaître et le monde sombrer pour longtemps dans les ténèbres et laffliction.
Ma Grande Prêtresse devint ma domestique qui, face voilée, me servit sans mot dire toutes ces longues années.
Celles-ci révolues, il me sembla opportun de la récompenser. Je fis usage de ma magie et lui redonnai un corps de jeune fille; elle me servit une année encore, sans voile et discourant à loisir.
Son heure venue, elle séteignit.
Et je considérai à nouveau mon destin, et vis que javais dûment accompli tout ce que je devais faire. Mon enveloppe physique ne valait plus rien, nétait plus daucune utilité.
Je me décidai par conséquent à accepter la grande récompense devant méchoir au titre de loyal ministre du dieu F.I.A.T., lequel réside derrière toute manifestation du Vouloir et de lEntendement, et dont Isis, Osiris et Horus ne sont que les pasteurs.
De ceci, et de mon trépas, je vous entretiendrai en dautres circonstances.
Il faut tout dabord que je vous parle des habitants du royaume qui encercle le monde, afin de réconforter ceux qui ont peur.
CHAPITRE X
Mais je sais ne pouvoir prendre conscience de ces choses pour le moment, car elles recèlent de grands mystères, afférents à un degré dinitiation dont je ne suis pas encore digne.
(Le texte sachève brusquement.)
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