Titre: |
Révolution
Intérieure N°5 - 1987 |
|
Animateur : D. Giraud. Soulan. 09320 Massat.
|
|
Pas de "Copyright" - copywrong
- pour les publications underground-oversky |
Le moment où
tu t'échappes de ton corps
où ton corps
n'a plus de réponse
où
tu ne sais plus
le moment où
où
un rien
dans le rien
s'espace
le moment
celui choisi
celui sans suite
celui en oubli
celui aussi manqué
le moment où
temps déformé du temps
où ton corps
un moment
s'est niché
où rien ne subsiste
ce lointain
d'un autre moment
souterrain
flétrissure
meurtrissure
usure
le sang bat le temps
accalmie du moment
où encore
la trace de ton corps
se face-à-face
tous les possibles du regard
le rien
le tout
au seul moment - où
Mai 87
10 juin 59, Bombay.
Il y a le mythe
il y a le feu tes trois yeux allumés
lèpre encens crachats rouges de bétel
et ton nom qui tourne en rond
au plafond
15 Juin 59, Bombay.
Le sacré : ce que tu manges... touches... l'air que tu respires.
Ta sueur.
Une fille aujourd'hui m'a souri.
7 juillet, Bombay.
Il y avait la mer debout
cet étrange parfum de nuit
le monde ouvert et mouillé
30 août, Bombay.
Assistons-nous à la fin de l'art ? Art fiction du temps et de
l'espace. Tout est réellement poésie. Lieu entre l'homme et l'in-connu.
Un jour leur Science découvrira que tout a déjà été dit.
4 octobre 59, Ellora (temple du kalailasa)
Entièrement taillé dans le flanc du rocher... et tout ciselé.
La pierre luit, patinée. Des couples s'enlacent. Shiva danse.
Il y a, là, Durga avec un collier de têtes coupées...
... Des femmes offertes... lorsque je reviens dans la grotte de
Shiva, le soleil rouge au ras de l'horizon frappe droit le dieu
danseur au fond de la crypte. Sang et feu. Dramaturgie. Une femme
du sacro-saint est séparée en deux en son milieu. Moitié d'ombre
et moitié d'incandescence. Je ne bouge plus et laisse la nuit
éteindre ce théâtre...
9 janvier, Ceylan.
Je redescends les marches de pierre du temple de Sigiriya tout
de briques rouges avec sous mes yeux la jungle de Ceylan.
13 janvier 60.
Au temple de Warana je plante ma tente jaune au milieu d'un ébat
de petits séminaristes en robes Jaunes qui rient.
2 février 60, Colombo.
Il s'agit de savoir ce qui compte... vivre ou penser.
2 avril 60, Bangkok.
Rouge et Or. Odeur du poulet à l'ail.
9 avril 60, Bangkok.
Je suis mon propre engrais
je n'ai pas besoin de l'idée de Dieu pour savoir que j'ai un estomac.
4 mai 60, Bangkok.
Je bois de grands verres d'eau glacée. Les rues écorchées de lettres
chinoises. Rouge et Or.
L'homme a toujours cru qu'il y avait un demain... et ce n'est
subitement plus vrai.
Est arrivé le moment où il n'y aura plus de demain. Nous vivons
le dernier aujourd'hui.
10 mai 60. Cambodge.
Je plante ma tente près du village de Siem-Reap. Je mange des
sucreries cambodgiennes.
Pleine lune. Anniversaire aujourd'hui de la mort de Bouddha.
16 mai 60, Angkor.
Le temple-montagne. Mourir de soleil.
17 mai 60 (dans le Bus pour Bangkok).
Assis entre les autres. Je me sens sale. Je suis le même homme
qui a posé les pierres. Pensé à un dieu. Qui s'est lui-même égorgé
parce qu'il désirait naître. S'est laissé tomber au sol misérable.
Qui a voulu aller plus avant. S'est posé encore des questions
et continue de s'en poser. Celui qui deviendra l'unique et abandonnera
la matière divine. Dépassera la métaphysique de pacotille. Celui
qui se pénètre. Se possède. Vivre encore mille ans pour mesurer
sa propre faiblesse. Homme pensif et penseur... piocher l'homme
au scalpel... être le médecin du subtil. A côté de moi le gosse
assis sur les genoux de sa mère me tient le doigt et pisse sur
mon pantalon.
... Et tous ces visages de femmes sont des visages d'apsara.
1er juillet 60, Chaang-Mai.
Dans une forêt à l'odeur de sperme.
30 septembre 60, Bangkok.
Oui... se créer à chaque marche un nouveau vertige.
Octobre 60 (dans l'avion de Tokyo).
... Marcher des endroits encore jamais marchés... être sous griffes...
se savoir hors-la-loi... sacrilège.
11 juin 61, Tokyo.
Il ne s'agit plus de décrire l'homme, mais de le projeter.
14 juin 61, Tokyo.
La métaphysique de l'homme est tombée d'un étage ou bien elle
est dépassée. Elle guinche avec le marchand de fruits... le laitier
du coin.
20 novembre 61, Kajiki (Kyushu).
... Je vais dormir
le bruit de la mer
des criquets
une petite lumière au pied du Sakurajima.
22 novembre 61, Kuruma.
Dans l'étrange aigreur
vieille
de toutes les générations surimprimées de la marche des hommes
dans la boue vitrifiée
resurgit indéfiniment
le lieu
15 août 62, Kurihama.
Sur ma plage. Sable. Soleil. Nuage.
Chez moi reçu la visite d'un jeune stopeur américain, architecte.
Me parle des "beatnicks". Jamais entendu parler. Des noms comme
Kérouac Ginsberg Gary Snyder...
Relation de l'Art avec l'Espace.
Je suis en train d'écrire "Kago" .
23 août 62, Tokyo.
Le typhon est passé. Le soleil tente de percer un ciel ouvert.
Chaleur moite. Rencontré Yukio Mishima au Vaudoo (modernjazz coffee-shop).
9 octobre 62, Tokyo.
Disparaît tout d'un coup
plus l'ombre de rien. Le chemin d'une piste. Pas la trace d'un
pas. D'un souffle. Pas une odeur. Présence. Recul. Absence pas
même. Disparition du mot "toujours".
19 janvier 64. Kyoto.
Au temple de getsushinjo (Lune-Coeur. Les moines zen méditaient
face à la lune). Le vieux bonze à barbiche et petites lunettes
trace pour moi sur un bout de papier deux kangi "doku-o" "le vieil
homme seul".
7 avril 64, Kyoto.
Il y a toujours le visage étrange des filles. Posé là comme un
événement surnaturel.
Essayer de décrocher des visages... comme ça...dans le noir de
la nuit.
23 avril 64, Kyoto.
Si tout d'un coup on décide. On décide de tout oublier. Effacer.
On se trouve au centre d'un RIEN géant. C'est vif. A même le soi.
Reste à piocher. C'est silence.
4 mai 64, Tokyo.
Tout me porte au vertige... la laideur... la beauté
tout le miracle parce qu'il me prend à la gorge
on ne comprend rien. On ne fait que voir. Mais profondeurs continuellement
en transformations. Les mêmes choses. Toutes les formes possibles
et infinies de la vision des mêmes choses.
On peut sentir au secret de soi jusqu'au plus ancien comportement
depuis le minéral et en suivre toutes les déviations. J'ai en
moi l'aspiration au sain mais aussi au tortionnaire. J'ai en moi
le pire... la peur et la bêtise.
Entrer dans son propre système c'est peut-être se délivrer des
aberrations du langage discursif mais c'est en même temps s'isoler,
rompre avec ce qu'on appelle communication. C'est entrer en silence
comme le moine. Ou bien en internement. L'enfant autistique ne
serait-il pas pour l'espèce humaine un signal d'alerte, face à
ce formidable déploiement d'énergie suicidaire auquel nous assistons,
sans le vouloir.
Vivre au plus-que-présent et enfin ne plus contempler son tortionnaire.
L'unique action de l'homme pour gagner sur le Temps est de le
perdre.
Avoir le temps c'est être.
Pour mon regard devant la Matière la sensualité est à l'écoute.
La compétition détourne le magique du jeu.
Perdre le sens du miracle, tout le drame est là. Ne plus croire
que tout est possible. Ne plus savoir.
Vivre la seconde, c'est encore le temps de la cueillette. On parle
de l'arbre qui cache la forêt, mais la forêt qui cache l'arbre
est aujourd'hui une réalité au moins aussi destructrice.
L'unité de l'homme c'est sa multiplicité.
Comme quoi un aphorisme de sagesse cache la sagesse
Comme quoi la philosophie cache le rire et la poésie
Être acteur. Ne pas connaître son rôle et savoir qu'on risque
bien de ne jamais le connaître. Découvrir qu'on n'a pas forcément
un rôle.
On serait finalement l'acteur dont l'unique rôle serait de définir
le rôle qu'il n'a pas.
Il faut que quelque chose d'esthétique puisse excuser le prétexte.
Il n'y a de fondamental que le HORS-TEMPS de la poésie.
L'invention de la "mesure" réduit tout à l'unitaire et l'unitaire,
à la réflexion, n'a pas d'existence.
Une façon est de vivre l'enfance jusqu'à la mort. L'autre est
de l'enterrer dès la naissance.
Je n'entends parler que de maîtrise, de maturité.
Tous ceux que vous regardez en Maîtres vous ont simplement montré
une flamme. Vous n'en avez gagné qu'une lampe de poche.
La "création"... belle connerie. Mais on ne peut que révéler.
Découvrir. Inventer, comme on parle d'un "inventeur de trésor".
Il y a "inventaire" (in-venter, au fond du ventre) (in-ventus,
dans le vent) (in-velum, sous le voile).
Ils fabriquent leurs mômes et tout de suite les mettent au parfum
"vous allez voir... ça sera pas rose".
Ils "réfléchissent" leur monde comme une conformité.
Il faut non seulement prendre conscience que le temps SEUL est
le tout de ce qui nous interroge, nous mobilise, nous détourne,
mais surtout devenir l'immortel de cette unique seconde du temps.
Le monde court depuis le début de la pensée vers l'accès à une
seconde immobile qu'il continue d'imaginer comme un paradis.
Arrêter de courir avec le troupeau derrière les meneurs de croisades...
vers la litière fabuleuse.
Je voudrais pouvoir dire ce lieu en suspens : L'entre-ciel-et-loup.
Reçu ce matin une invitation polycopiée "Connaissant la qualité
de votre oeuvre, nous... etc, etc..."
Le bonheur d'avoir été distingué par une machine.
Et si tout avait été une erreur !