TITRE : PRÉFACE
Extrait de : LES ÉCRITS ALCHIMIQUES D'EDWARD KELLY
Auteur : Edward Kelly
Traduction : Phillipe Pissier
Copyright: © Editions Ramuel, 1995
ISBN 2-910401-21-9


"Cette édition est la traduction française des " Alchemical Writings of Edward Kelly ", publiés en 1893 à Londres par James Elliott & Co. Le texte était traduit d'une édition parue à Hamburg en 1676, et avait été augmenté d'une préface biographique due à A.E.Waite."

I - PRÉFACE BIOGRAPHIQUE
II - LE LIVRE DE SAINT DUNSTAN
L'OEUVRE DE SIR EDWARD KELLY
SIR ED. KELLEY - AU SUJET DE LA PIERRE PHILOSOPHALE
SAINT DUNSTAN : DE LA PIERRE DES PHILOSOPHES
III - LES ROSICRUCIENS ET LE DOCTEUR DEE
NOTES


 

 

LES ÉCRITS ALCHIMIQUES

D'EDWARD KELLY

 

DEUX EXCELLENTS TRAITÉS

SUR LA

PIERRE DES PHILOSOPHES

ainsi que

LE THÉÂTRE DE L'ASTRONOMIE TERRESTRE

***

avec des figures emblématiques

***

Publié présentement pour la première fois
au profit des Fils d'Hermès
par J.L.M.C.
(à savoir John Lilly et Meric Casaubon)

***

 

 


 

I

PRÉFACE BIOGRAPHIQUE

"J'ose espérer," affirme l'objet de cette préface, dans son traité intitulé De Lapide Philosophorum, "que ma vie et ma personne deviendront suffisamment connues de la postérité pour que je sois compté parmi ceux qui souffrirent beaucoup par amour de la vérité." La justification modestement désirée par Edward Kelly ne lui fut pas accordée par la cour de cassation auprès de laquelle il fit appel. La postérité continue à le percevoir ainsi que le percevaient ses contemporains, comme un notaire frauduleux qui fut à bon droit amputé de ses oreilles ; comme un sordide imposteur qui abusa de l'immense crédulité de l'érudit Docteur Dee, et impliqua plus tard sa victime dans des transactions qui déshonorèrent en permanence un grand nom sous d'autres rapports; et enfin comme un prétendu transmuteur de métaux qui ne fut traité qu'avec trop de clémence par l'empereur qu'il dupa. Par exemple, l'astrologue dépeint par Hudibras a lu

"les préfaces de Dee avant
Le Diable, et Euclide dans tous les sens,
Et toutes ces intrigues entre lui et Kelly,
Que Lexas et l'Empereur vous pourraient conter."

C'est au moins faux en ce qui concerne le Docteur Dee, et cette fausseté peut être prouvée. C'est le verdict de la postérité dans la mesure où elle s'intéressa à ce sujet; c'est le verdict des dictionnaires biographiques se copiant fidèlement les uns les autres, suivant le procédé facile employé par ces dictionnaires biographiques dès qu'ils traitent de mages et de prophètes, d'alchimistes et autres professeurs de médecines secrètes, et en règle générale de tous les oracles de contrées limitrophes; et dès que l'ignorante opinion publique s'intéresse au sujet elle se trouve guidée par la sottise érudite des dictionnaires. Aujourd'hui, en présentant pour la première fois au lecteur anglais les trois très curieux traités constituant les principaux restes littéraires d'Edward Kelly, il n'est pas nécessaire, car ce serait alors sans aucun motif, de souscrire à une défense aveugle de l'alchimiste qui les rédigea. Pour l'amateur de curiosités scientifiques et de choses inouïes (NDT.En français dans le texte) en littérature, l'intérêt qui s'y rattache ne sera pas altéré par les mascarades ou les crimes de l'auteur. Pour qui étudie les antiquités Hermétiques, il deviendra évident, et peut-être le sait-il déjà, que la valeur des duo tractacus et leur complément ne réside pas dans le fait qu'ils soient l'oeuvre d'un adepte mais dans le suivant : ils contiennent un soigneux abrégé ou digeste des philosophes alchimiques, cependant que l'intérêt présenté par l'homme lui-même tient à sa possession temporaire des deux teintures de la philosophie alchimique, et non dans sa capacité à les composer. En même temps, les aventures et emprisonnements de Kelly, avec ses passages de la pire des pauvretés à une soudaine richesse, fugitif proscrit et recherché devenant baron ou maréchal de Bohême, puis sombrant de nouveau dans la disgrâce et l'emprisonnement, tout cela s'achevant par une mort violente, sans parler des visions et transmutations, constituent la trame d'un récit surprenant, dessinent les vastes contours d'une vie seulement possible aux dix-septième et dix-huitième siècles. De plus, dans ce cas comme dans bien d'autres, l'étudiant de l'histoire transcendantale n'aura guère besoin d'être averti que le "voyant" du Docteur Dee et découvreur du prétendu "Livre de Saint Dunstan" fut crédité de nombreuses iniquités qu'il ne semble pas avoir commises.

S'il est possible de mettre provisoirement entre parenthèses le seul intérêt que présentent ces restes d'Edward Kelly aux yeux de l'antiquaire, et de faire preuve d'une attention préférentielle envers ce point de vue depuis lequel l'étudiant en Hermétisme se proposera de les considérer, il nous semble raisonnable d'affirmer que l'importance de cette vie d'alchimiste est toute entière concentrée dans sa possession des poudres transmutatoires et dans la façon dont il est supposé les avoir acquises. Les autres épisodes de son existence peuvent être traités avec une relative brièveté.

Edward Kelly semble être né à Worcester, et d'après Anthony à Wood (1), l'événement se serait produit à quatre heures de l'après-midi le premier jour d'août 1555. C'était la troisième année de règne de la reine Mary. Il fut éduqué dans sa ville natale jusqu'à l'âge de dix-sept ans, âge auquel il se serait rendu à Oxford. Les registres de cette Université ne mentionnent aucun Edward Kelly y faisant son apparition à la période en question, et l'on pense que son véritable nom était Talbot. Trois personnes portant ce nom furent admises à Gloucester Hall à l'époque qui nous intéresse. Peut-être les archives de l'Université n'ont-elles pas été correctement fouillées, et, dans le cas contraire, la preuve de son séjour à Oxford est d'une nature très mince (2). Si, outre la difficulté déjà mentionnée, il n'y a pas d'autres raisons pour supposer qu'il ait changé de nom, et aucune autre ne semble s'offrir à nous, peut-être est-il plus sage de réfuter sa carrière universitaire que d'admettre la théorie de l'alias. S'il fut à Oxford, ce ne fut que brièvement, et il est censé l'avoir quitté brutalement. D'autres récits affirment qu'il fut élevé en apothicaire et que de la sorte il acquit quelques compétences en chimie. Ce fut plus probablement la profession de son père, lequel dut lui fournir quelques connaissances durant son enfance. Au terme de ses études scolaires, que ce soit à Oxford ou ailleurs, il semble avoir embrassé le droit, et s'être fixé à Londres ou, d'après une autre source, à Lancaster, mais peut-être bien aux deux endroits. C'est certainement dans la dernière que ses ennuis commencèrent. C'était un habile homme de plume, qui s'était donné la peine de se familiariser avec l'anglais archaïque et, provenant de Worcester, sans doute avec le gallois. De fait, on l'accusa d'employer ces talents pour créer de faux documents dans l'intérêt d'un client. L'accusation est très vague et ne repose sur rien que l'on puisse qualifier de preuve. L'on affirme toutefois, de manière tout aussi incertaine, qu'il fut mis au pilori à Lancaster, et également privé de ses oreilles. Il est sûr qu'il eut de graves ennuis car jusqu'à la fin de sa vie il eut toujours plus ou moins peur de la justice anglaise, et semble avoir quelquefois préféré une prison étrangère à l'accueil incertain qu'il pouvait envisager de retour dans sa patrie. Car cette peine que lui assignent tous ses biographes, qu'elle fut ou non justifiée par ses méfaits, il semble raisonnable de penser que d'une manière ou d'une autre elle fut éludée. La position éminente qu'il occupa postérieurement à la Cour de l'Empereur Rodolphe n'aurait guère été accessible à un homme ayant perdu ses oreilles. La crédulité des personnes royales à la fin du dix-septième siècle a certainement facilité bien des impostures de la part des alchimistes qu'elles protégeaient, mais pas au point d'agréer l'illumination philosophique d'un adepte flétri par la loi. L'autre version semble donc préférable, et d'après celle-ci Kelly trouva refuge au pays de Galles. Là, il est excessivement probable qu'il prit un nom d'emprunt, mais que Talbot devint Kelly ou que Kelly fusionna pour un temps avec Talbot, ou quelque autre nom, c'est un mystère alchimique que le passé gardera en son sein. Au pays de Galles, il semble avoir embrassé une vie nomade, séjournant dans d'obscures tavernes, et après quelque temps, il dut gagner petit à petit les alentours de l'abbaye historique de Glastonbury (3). Ce qui lui advint là-bas était de fait destiné à devenir le point critique de la vie de ce fugitif, et fut abondamment raconté par ses biographes : si dans le présent texte nous nous basons sur le récit du littérateur (NDT.En français dans le texte) scientifique français Louis Figuier, ce n'est pas que son exposé soit spécialement préférable mais parce qu'il est le plus disponible actuellement (4).

Il séjournera, entre autres endroits, dans une auberge isolée en montagne, et là il advint qu'on lui montra un vieux manuscrit que nul dans le village ne pouvait déchiffrer. Kelly avait une bonne, si ce n'est triste raison d'être familier des mystères de l'écriture ancienne (5), et il vit de suite que non seulement le texte était rédigé en vieux gallois (6) mais également qu'il traitait de la transmutation des métaux. Il fit des recherches relatives à l'histoire de cette rareté bibliographique et apprit que sa découverte était liée à l'un de ces déchaînements de fanatisme religieux assez courants sous le règne de la Reine Élizabeth. Le sépulcre d'un évêque enterré dans une église avoisinante avait été violé, le zèle d'un Protestant n'étant pas incompatible avec le désir d'exhumer des trésors cachés. Quoi qu'il en soit, l'acte sacrilège fut seulement récompensé par le manuscrit alchimique que ne pouvaient lire les pillards, ainsi que par deux petites cassettes en ivoire contenant respectivement une poudre rouge et une poudre blanche, toutes deux également inutiles à leurs yeux. Dans leur colère, ils brisèrent le réceptacle de la poudre rouge et une bonne partie du contenu fut perdue. Ce qui en restait, ainsi que la seconde cassette et le document déjà cité, ils l'apportèrent à l'aubergiste qui fut semble-t-il assez malicieux pour leur échanger contre une bouteille de vin. Le manuscrit fut conservé comme une curiosité à exhiber aux étrangers faisant halte à l'auberge; la cassette intacte servait de jouet aux enfants de l'aubergiste; le reste de la poudre rouge semble s'être miraculeusement conservé dans son réceptacle brisé; et il advint, en temps voulu, qu'en sa qualité d'étranger Kelly examinât l'intégralité du trésor. Si Kelly avait commencé comme apothicaire, il possédait indubitablement quelques notions de chimie (7), et il y avait à l'époque, relativement au sujet de l'Alchimie, peu de personnes n'ayant jamais entendu parler des teintures rouge et blanche, instruments du Magnum Opus. Il en savait suffisamment pour désirer les posséder, et offrit du tout une guinée à l'aubergiste qui accepta.

Tel est le récit de la découverte, dépouillé de quelques élaborations dues à la finesse française. Maintenant, Nash (8), responsable de l'histoire du pilori, ne fournit aucune date relative à la prétendue mutilation d'Edward Kelly, mais l'on peut penser que si elle eut lieu, ce fut vers 1580. Si la susdite mutilation est écartée, la même date nous servira de point de départ pour les errances au pays de Galles. Après qu'il eût mis en sûreté les trésors Hermétiques, on ne sait trop ce qu'il fait durant quelque temps; lorsqu'il réapparaît c'est en compagnie du Docteur John Dee. Figuier, brodant toujours sur les aperçus de biographes incapables et dénués d'imagination, nous narre comment, incapable d'user de ses trésors en raison de sa prétendue ignorance de la chimie, il a recours à son vieil ami Dee, lui écrit à ce sujet, reçoit une réponse favorable et se met immédiatement en route pour Londres. Qu'il écrivit ou non, il y était manifestement installé à l'automne 1582. Difficile de dire s'il s'agissait ou non d'une première rencontre. Lenglet du Fresnoy, qui était réellement attentif dans la collecte de ses données, déclare que Kelly était vraiment un notaire londonien et que Dee était son vieil ami et voisin (9). Il est supposé qu'ils se mirent à oeuvrer de concert et au mois de décembre 1579 il est dit que dans le laboratoire d'un orfèvre ils accomplirent une transmutation métallique prouvant que la richesse de la teinture de Kelly était unique parmi deux cents fois soixante-douze mille deux cent trente autres; mais il est spécifié "qu'ils perdirent beaucoup d'or durant leurs expérimentations avant de mesurer la portée de son pouvoir." Si l'on accepte cette date, Kelly avait alors vingt-quatre ans, et son compagnon était son aîné d'environ trente ans. Mais les dates ne sont pas faciles à recouper à cette époque, et les journaux du Dr. Dee ne font aucune mention du sujet avant que ne s'écoulent plusieurs années (10). Il n'y a bien sûr aucune raison de douter qu'ils expérimentèrent assez rapidement avec la poudre, et comme la bona fides du Dr. Dee ne peut être sérieusement mise en question au vu des comptes rendus ultérieurs, il doit avoir considéré les résultats comme étant satisfaisants; il est de plus évident, à la lumière de son propre mémorandum, conçu pour son usage personnel et non prévu pour être publié, que non seulement il était convaincu de l'authenticité des transmutations de Kelly mais encore qu'il tenait en haute estime le talent Alchimique de son compagnon, et semble avoir toujours reçu ses communications sur le sujet avec gratitude et vénération (11). Mais il apparaît également qu'à la fois en Angleterre durant la période concernée et plus tard à l'étranger, le Dr. Dee fut bien plus profondément et durablement intéressé par les mystères des visions dans le cristal que dans la réalisation du magnum opus métallique. Ses allusions à l'Alchimie sont rarissimes, mais par contre ses communications avec les anges et esprits planétaires, intelligences invisibles de toutes sortes et de tous rangs, furent par lui consignées avec la plus scrupuleuse et exhaustive fidélité. Elles furent ultérieurement décryptées, ordonnées et publiées dans un gros in-folio; et constituent d'ailleurs à ce jour non seulement la plus prolifique source d'informations quant aux relations Dee-Kelly, mais aussi - en dépit de nos merveilles modernes - le plus curieux compte rendu existant en langue anglaise d'un prétendu commerce avec le monde des esprits. Et, quelles que soient les assertions contraires des biographes à sensation comme Louis Figuier, en rajoutant pour faire de l'effet, ce n'est en somme pas comme alchimiste mais comme voyant dans le cristal qu'Edward Kelly se présenta au docteur de Mortlake. C'est aussi en cette qualité qu'il influença avant tout son compagnon. Il est indifférent pour les buts de cette préface qui, rappelons-le, n'est pas censée faire l'apologie de son sujet, de statuer sur l'authenticité ou non des visions d'Edward Kelly. Dans l'état présent de notre connaissance de la psychologie, imparfaite comme elle l'est encore, il est d'une part trop tard pour nier qu'un état de lucidité puisse fréquemment être induit par l'entremise de cristaux et autres corps pareillement transparents; tandis qu'il est évident de l'autre, d'après l'histoire même de notre sujet, qu'au-delà du seul fait et des possibilités qu'on peut raisonnablement y relier, rien de véritablement important n'a jamais résulté de pareilles expérimentations. Edward Kelly peut avoir perdu ses oreilles pour contrefaçon, ou avoir mérité qu'on les lui coupe, et avoir pourtant été un authentique clairvoyant, car la faculté ne présuppose aucunement une moralité supérieure ou même passable chez son détenteur. Il peut avoir été innocent de toutes autres pratiques illégales, et néanmoins avoir honteusement abusé de son ami. Il est un seul fait d'importance pour cette préface : Edward Kelly, apparemment sans que ce soit dû à ses mérites, se rendit acquéreur des deux teintures de la philosophie Hermétique. Coupable ou martyr, voyant ou conjureur frauduleux, fripon ou saint, cela importe peu en comparaison. Il peut de plus avoir expliqué les teintures en sa possession par une fiction romanesque, mais cela est en soi dénué d'importance. En même temps, pour ce qui est de ses visions, il faut reconnaître qu'il était un clairvoyant de haut niveau, ou alors un homme qui avait le génie du mensonge (12). Entre la période du départ présumé d'Oxford et le terme de sa trente-cinquième année, il fut accusé de tant de crimes, aucun n'ayant pu être commis sans un considérable apprentissage, que, supposant une extraordinaire aptitude à mal faire, il est malgré tout assez difficile de croire qu'il ait pu en faire autant en si peu de temps. La liste inclut la nécromancie, le commerce avec le diable, la contrefaçon (déjà citée), et l'émission de fausse monnaie (13).
Le 21 septembre 1583, Edward Kelly et son protecteur quittèrent l'Angleterre pour le continent. Diverses raisons ont été avancées pour ce déplacement, comme par exemple le fait que Kelly vivait dans une peur continuelle pour sa liberté et même sa vie; qu'ils ne pouvaient poursuivre leurs expériences alchimiques dans les meilleures conditions en restant dans leur propre pays; que pareilles opérations étaient propres à les affubler d'une triste réputation et les rendre passibles de la fureur superstitieuse de la populace; que le Docteur Dee, en particulier, avait été déçu dans son attente d'une promotion raisonnablement espérée. Toutes ces causes peuvent avoir contribué à rendre leur départ souhaitable comme il se peut qu'ils n'aient été influencés par aucune d'icelles. Dee bénéficiait de considérables faveurs de la part de la Cour, et notamment des personnes royales, et il n'y a guère de raisons de supposer qu'il ait entrepris son voyage pour rechercher une dignité, ou qu'il envisageait une absence durable, le fait étant qu'il laissa sa bibliothèque derrière lui, dans son cottage de Mortlake. Sa femme et son enfant l'accompagnaient, comme d'ailleurs la famille de Kelly, lequel semble bien s'être marié - sans qu'on sache à quelle date. Cette troupe digne d'attention était complétée par Lord Albert Alasko, noble polonais qui avait recherché et finalement contracté des rapports d'intimité avec le Docteur Dee durant un séjour prolongé en Angleterre (14). Qu'il fut ou non intéressé par les expériences alchimiques des deux compères ne ressort pas du témoignage, bien que ce puisse être raisonnablement supposé. Par contre, comme Dee lui-même, il était profondément impressionné par les révélations spirituelles provenant du cristal, et les procès-verbaux nous le présentent comme un participant régulier et actif aux séances de clairvoyance. Le voyage dans sa totalité semble avoir été entrepris à la demande de Lord Albert Alasko, qui les avait invités à lui rendre visite dans son château des environs de Cracovie. Les biographes hostiles comme Louis Figuier l'ont par conséquent dépeint comme la dupe des deux compères, qu'ils pillèrent sans vergogne, lassant l'amabilité de leur hôte jusqu'à ce qu'il se débarrasse d'eux, non sans grandes difficultés, leur victime ne les pouvant tolérer plus longtemps, étant pratiquement ruinée par leur rapacité. Il n'existe pas l'ombre d'une preuve de tout ceci. Il est certain qu'ils n'atteignirent pas Cracovie avant le 13 mars 1584. A peine étaient-ils parvenus au nord de l'Allemagne que le Docteur Dee était informé de la destruction de sa bibliothèque à Mortlake par une meute de fous furieux, lesquels profitèrent de l'absence du magicien pour se venger sur ses effets personnels. La mise sous séquestre de ses rentes et de ses biens semble avoir suivi de peu cet acte de vandalisme. Comme nous l'avons déjà vu, il y a un vide dans le "Private Diary" à cette période, et ce vide n'est qu'imparfaitement comblé par la "True and Faithful Relation", consacrée aux visions dans le cristal. Les circonstances dans lesquelles ils quittèrent le noble polonais ne sont pas mentionnées, mais la date de leur départ est fixée par la "Faithful Relation" au premier jour d'août 1584, nouveau style. Il nous semble évident que, tout comme le Docteur Dee, il fit l'expérience de la violence irraisonnée inhérente au tempérament de Kelly; mais il n'existe aucune preuve qu'ils se quittèrent en mauvais termes. Les visions et révélations dans le cristal se poursuivirent durant le voyage comme à Mortlake, avec les plus grandes régularité et persistance, qu'elles soient issues de la fantastique médiumnité du voyant ou de la diversité de ses ressources imaginatives, mais étaient bientôt destinées à être souillées par un abject procès-verbal. Il est d'autre part certain que durant cette période les expériences alchimiques qu'on a supposées être le but de leur voyage ne semblent pas avoir été poursuivies. L'on soutient même que, en dépit du Donum Dei, les deux familles durent quelquefois faire face à une grande pauvreté. Elles se rendirent enfin à Prague, et y arrivèrent sept jours après leur départ de Cracovie. Là, tous parlaient d'Alchimie, beaucoup la pratiquaient, la moitié de la population ajoutait foi aux merveilles s'y rapportant, et les procédés supposés étaient supérieurs en nombre aux adeptes eux-mêmes. Inévitablement, le possesseur de la poudre de l'Évêque, obtenue lors des fouilles au pays de Galles, avait l'intention de briller dans cette ville pleine de hiérophantes, et Edward Kelly vint parmi eux comme l'Élie Artiste prédit des années auparavant par Paracelse, et toujours attendu par ses disciples. En très peu de temps, tout Prague était en proie au ravissement, car l'adepte Kelly effectuait des transmutations un peu partout, comme par exemple dans la demeure de Thaddaeus de Hazek, le médecin impérial, allant même jusqu'à initier des disciples comme Nicholas Barnaud et le Maréchal de Rosenberg au procédé, si ce n'est au secret lui-même. De nombreuses autorités, incluant le fameux Gassendi, ont été citées à l'appui de ces transmutations prodigues, mais certaines d'entre elles se livrent à un commentaire incertain ou demeurent totalement silencieuses (15). Quoi qu'il en soit, l'ensemble de la troupe devint soudainement et excessivement opulent, d'une grande prodigalité et doté de suites magnifiques. Ils furent invités à la Cour de l'Empereur Rodolphe II, Roi de Hongrie et de Bohême, et s'y rendirent, Kelly espérant éblouir le potentat par ses transmutations et être fait maréchal en conséquence. Le Docteur Dee, qui ne connaissait rien à l'Alchimie, demeura dans un silence relatif tandis que son compagnon multipliait ses folles dépenses et les ennemis de sa brusque réussite. Le philosophe et l'alchimiste ne purent bientôt plus se supporter et une nette rupture devait se produire, rupture dont l'explication doit être recherchée dans les moeurs corrompues du jeune homme. En avril 1587, alors qu'ils se trouvaient à Trobona, une femme nue, dont l'apparition fut décrite par Kelly, ordonna au "voyant" et à son maître de jouir "de leurs deux femmes en commun". Kelly persuada Dee de la bona fides de l'esprit et, après quelque hésitation, un contrat solennel fut rédigé, conformément à l'intimation, entre le Docteur Dee, Kelly, Jane Dee, et Joan Kelly, "comme en témoigne la troisième partie de la 'Faithful Relation'."

Dans l'intervalle, la poudre, diminuant à force d'excessive projection, s'épuisa, dilapidée plus encore par les vains efforts pour l'accroître; et lorsque l'Empereur ordonna à son invité de la produire en quantité convenable, toutes les expériences ratèrent. Jusqu'ici, Kelly s'était vanté d'être un adepte; il avait partout fait parade de ses pouvoirs; il n'était pas le simple légataire de la Pierre - il était un maître compétent et illuminé. L'Empereur croyait tout ceci, et il y crut même jusqu'à la fin; l'impuissance de l'alchimiste épuisé fut prise pour de l'entêtement, et l'invité devint un prisonnier. L'on dit qu'il fut enfermé dans un cachot du château de Zobeslau. Afin de regagner sa liberté, il promit de fabriquer la Pierre, à la condition de pouvoir retourner à Prague et y consulter le Dr. Dee. Il lui fut donc permis de retourner en cette ville, mais sa maison était gardée et, comme les nouvelles expériences visant à composer une poudre transmutatoire s'avérèrent plus vaines que jamais, l'alchimiste pris de rage se livra à une futile tentative d'évasion qui eut pour seul résultat le meurtre de l'un des gardes.

Un second emprisonnement, cette fois au château de Zerner, fut la conséquence de cet accès de violence. Le Docteur Dee s'en retourna seul en Angleterre, mais à une date incompatible avec certains présumés incidents dans la vie du voyant. Les deux compères semblent s'être quittés en termes amicaux et correspondirent après leur séparation (16). A la demande du philosophe de Mortlake, la Reine Élizabeth réclama l'alchimiste comme étant l'un de ses sujets mais l'Empereur s'excusa de ne pouvoir le libérer en raison du meurtre qu'il avait commis. Le second emprisonnement de Kelly, d'après les dates généralement admises, dura jusqu'en 1597, année durant laquelle il tenta de s'échapper à l'aide d'une corde. Il tomba malheureusement d'une telle hauteur que les blessures qui en résultèrent entraînèrent sa mort à l'âge de quarante-deux an (17). Son traité sur la "Pierre des Philosophes" fut le fruit de ses loisirs forcés mais il n'apaisa point son geôlier. Les autres brochures contenues dans le présent volume furent sans doute rédigées plus tôt. Avant d'avoir connu Kelly, le Dr. Dee ne s'occupait pas d'Alchimie, mais depuis son retour en Angleterre jusqu'à sa mort en 1608, il s'abstiendra des expériences qui plongèrent son voyant dans les ennuis, et se contenta d'être Directeur de Manchester, d'être persécuté par les Membres du Collège et de souffrir les autres affronts avec la patience d'un philosophe éclairé.

***


II

LE LIVRE DE SAINT DUNSTAN

L'étudiant en littérature alchimique sera bien entendu curieux de savoir si le mystérieux manuscrit de Glastonbury est censé avoir survécu. La tradition lui a attribué le titre placé ici en tête, et il existe le témoignage suivant, à considérer malgré toutes ses imperfections, qui en constitue une explication. L'abbaye de Glastonbury fut fondée par Saint Dunstan mais il ne semble pas y avoir été enterré, malgré le prétendu transport de ses reliques depuis Canterbury. L'on peut néanmoins déduire de la tradition que les restes de l'évêque exhumé étaient ceux du saint lui-même. Saint Dunstan était supposé avoir été un alchimiste, était considéré comme le patron des orfèvres; mais un anonyme compilateur de manuscrits du dix-septième siècle affirme "qu'il n'avait d'autre élixir ou Pierre Philosophale que l'or et l'argent obtenus grâce aux bénéfices de la pêche, d'où provenaient orfèvrerie et argenterie, ainsi que ces mêmes métaux en barre, à destination du royaume. Pour l'essor de cette activité, il recommanda que trois jours par semaine soient consacrés à la pêche, ce qui causa également plus d'abstinence, d'où le proverbe d'après lequel Saint Dunstan prit le diable par le nez à l'aide de ses propres tenailles." Le "Livre de Saint Dunstan" est quelquefois mentionné dans les journaux du Dr. Dee, au sujet de la "poudre trouvée durant les fouilles en Angleterre", et il l'est d'une manière telle qu'elle nous induit à raisonnablement conclure que ce titre était celui du manuscrit de Glastonbury. Une oeuvre portant le même titre est sans cesse citée par le fils du philosophe de Mortlake, Arthur Dee, notamment en son Fasciculus Chemicus. Le British Museum possède une copie manuscrite, en latin, d'un autre traité attribué au même auteur, sous le titre de Arca Arcanorum, suivi du Tractatus Maximi Domini Dunstani, Episcopi Cantuariensis, veri philosophi, de Lapide Philosophico (Traité du Grand Maître DUNSTAN, évêque de Cantorbéry, vrai philosophe, sur la Pierre Philosophale). Divers manuscrits qui nous sont parvenus, à la fois en latin et en anglais, présentant de grandes différences au niveau des dates ainsi que dans la nature de leur contenu, sont toutefois attribués à Saint Dunstan. La première édition fut imprimée à Cassel en 1649. Certains critiques ignorants sont allés jusqu'à considérer le propre traité de Kelly comme l'authentique manuscrit de Glastonbury. D'autres, escamotant le rapport avec le saint, ont été enclins à penser que deux traités en vers, inclus par Elias Ashmole dans le Theatrum Chemicum Britannicum, constituaient le traité original - bien que n'étant pas consignés dans la langue d'origine. Il n'y a guère moyen de prouver cette hypothèse mais elle n'a rien d'impossible; et si on la rejette, les vers en question peuvent à coup sûr être considérés comme d'autres restes littéraires d'Edward Kelly; dans les deux cas, ils méritent une place ici.

***

L'OEUVRE DE SIR EDWARD KELLY

Vous tous qui d'heureux philosophes voudriez être,
Et qui nuit et jour sur le gril de Geber
Gaspillez les copeaux de l'antique Arbre d'Hermès,
Vous imaginant les changer en huile précieuse,
Plus vous oeuvrez plus vous perdez et vous dépouillez;
A vous, dis-je, si érudits que vous soyez,
Allez brûler vos Livres et venez apprendre de moi.

Bien que face à mon seul Livre vous en ayez lu dix,
Cela importe peu, car j'ai entendu dire que
Les plus grands clercs ne sont pas les hommes les plus sages :
Il arriva qu'un lion obéisse à une souris stupide.
Par ma bonne volonté serez-vous consternés,
Et bien que j'écrive bien moins suavement que Tully,
Vous constaterez que je suis les traces de Lulle.

Il vous est bon de penser à la manière dont votre envie
Et votre suffisance garantissent de vains espoirs;
Vous n'épargnez aucune dépense, vous ne voulez pas de charbons pour le feu,
Vous savez les vertus de l'Héliotrope;
Vous vous estimez plus riches que le pape;
Qu'une chose existe en haut ou en bas,
Vous la connaissez, sa materia prima.

L'Élixir de vie et la précieuse Pierre,
Vous les connaissez aussi bien que pour faire une pomme;
Si cela vient à marcher, alors laissez faire,
Vous connaissez les couleurs, le noir, le brun, le bai, et le tacheté;
Maîtrisez-vous quand vous commencez à vous agiter,
Jurant et disant : qu'est cela?
Vous continuez pourtant à oeuvrer, mais jamais le travail n'aboutit.

Non, non, mes amis, ce ne sont pas des paroles vantardes,
Ni de puissants voeux qui attirent ce talent sacré;
Il est obtenu par la grâce et non par les épées,
Ni par grande lecture, ni en restant longtemps immobile,
Ni par folle suffisance, ni par toute-puissance de la volonté,
Mais par la grâce, ai-je dit, on l'obtient;
Cherchez donc la grâce, que votre folie soit domptée.

Ce n'est pas chose ruineuse, je vous l'assure,
Celle qui engendre Magnésie de son espèce;
Bien qu'elle-même soit par la lèpre rendue pure,
Ses yeux plus clairs si auparavant frappés de cécité,
Et qui sera d'abord capable d'ouvrir la forteresse de la terre,
Lui saura très vite que vérité j'ai dite
Au sujet de la douce Magnésie, épouse de l'or le plus pur.

Or, ce qu'on entend par homme et épouse, c'est en fait
L'agent et le patient, toutefois un et non deux,
Ainsi qu'était l'Eve d'Adam je vous le signale,
Chair de sa chair et os de ses os -
Telle est l'union de notre précieuse Pierre ;
Comme Adam qui dormit avant que ne fut créée sa femme,
Ainsi en est-il de notre Pierre; rien n'en peut être dit de plus.

En cela vous voyez comment il survint
Que d'abord il y eut l'homme, puis la femme à partir de lui ;
Ainsi Adam était premier, principal,
Et toujours demeurait homme de parfait limon;
Puis homme et femme furent ensemble joints et ajustés,
Et chacun aimant l'autre disposait directement de lui,
Et ils accrurent leur race lorsque Dieu les eut bénis.

Pareille à l'homme notre Pierre est cachée pour dormir,
Jusqu'au moment où son épouse sera pleinement façonnée;
Alors il s'éveille, et joyeusement il s'occupe de
Son épouse nouvellement créée qu'il a si chèrement payée;
Et lorsque à telle perfection ils sont portés,
Lui se réjouit d'une fiancée aussi jolie,
Dont la valeur est supérieure à la moitié du monde.

Je vous soupçonne de ne pas comprendre encore
Ce que signifient homme ou femme véritablement,
Et toutefois je sais que vous vous bernez
En vous disant qu'il s'agit sûrement du Soufre et du Mercure;
Et c'est le cas, mais certainement pas les ordinaires;
Car le Mercure essentiel est réellement l'épouse vraie
Qui d'elle-même se tue afin de donner naissance à son enfant.

Tout d'abord et en premier, elle accueille l'homme,
Son parfait amour la fait bientôt concevoir,
Puis de toutes ses forces et malgré leur amour,
Elle fait tout pour lui ôter la vie,
Une fois qu'elle l'aura fait, elle ne partira point,
Mais s'activera avec bonté telle une épouse affectueuse
Jusqu'à ce qu'à nouveau elle le mette au monde.

Puis, à nouveau présent, il paye de retour sa gentillesse,
Sur sa tête pose une couronne de gloire,
Et à sa louange des poèmes il rédige,
Poèmes inspirant un conte à chaque poète,
Et alors de l'avoir tué elle n'est point contrite,
Car lui en vertu de sa femme affectueuse
Non seulement vit mais donne la vie.

Mais ici j'aimerais que vous compreniez bien
Comment il fait de sa concubine sa femme,
Car si vous ne le savez pas, inutile d'entreprendre
Cette oeuvre, s'agissant de cela qui pour les fous n'est aucunement ordinaire,
Et qui vous voit en expiation là où il y a lutte;
Enlevez donc à l'homme sa chemise de tissu,
Et à la femme la sienne pour que s'engendre progéniture.

Pour vous le dire d'arrière-gorge il ne veut point d'épouses,
De la terre ou de la mer, dans l'eau, l'air ou le feu,
Sans leurs morts il n'attend rien de leurs vies.
Sauf si elles vivent veut-il réaliser son principal désir;
Il les contraint à faire l'apprentissage de la juste mort,
Et lorsqu'elles ont enfin supporté toutes les souffrances,
Elles découvrent des joies qui leur étaient tout d'abord cachées.

Car alors elles voient s'accroître joie de la douceur;
Elles mettent au monde enfants splendides à voir,
Lesquels sont de sains prisonniers à élargir,
Et qui aux corps les plus sombres donnent véritable lumière,
Leur teinture céleste étant d'une si grande puissance;
Oh! celui ne pouvant que découvrir pareil trésor,
Comment douter que sa joie fût démesurée?

Maintenant, grâce à cette question je saurais rapidement
Si vous pouvez dire quelle est sa femme en vérité -
Est-elle aux pieds vifs, au beau visage, oui ou non?
Volante ou fixe, comme vous lisez dans les livres?
Doit-on la nourrir ou est-ce elle qui nourrit?
Quel est son lieu de réjouissances, où est sa demeure?
Terrestre ou céleste, ou d'une étrange nation?

Est-elle pauvre? ou possède-t-elle quelque richesse?
Galante dans ses atours, ou misérable dans ses hardes?
Est-elle malade? ou est-elle en parfaite santé?
De nature douce? ou est-ce une querelleuse?
Est-elle gourmande? ou aime-t-elle le fût?
Si à l'une de ces questions oui vous répondez,
Pour sûr vous ne connaissez pas son épouse et ne l'avez jamais vue.

Et cela je vous le prouve et pour cause,
Car véritablement elle n'est rien de tout cela;
Cette question à vous posée vous semble raillerie;
Et pourtant elle doit être tout cela dans une certaine mesure :
Pourquoi dans une certaine mesure et pas totalement vous allez voir.
Parce que la véritable épouse dont je parle
Est le milieu entre tous ces contraires.

De même que farine et eau se rassemblent,
Ce n'est pas farine et eau dont il s'agit maintenant, mais de rosée,
Qui étant cuite est rosée et non plus eau :
Et aucune désormais ne quittera l'autre;
Le milieu entre les deux est l'épouse, la nôtre, mais cependant,
Et dans ce détail caché réside notre secret -
Cela suffit, peu de mots satisfont le sage.

Maintenant, grâce à cette comparaison je révèle ici
Un puissant secret, si vous le remarquez bien;
Nommez le mercure eau, imaginez le soufre farine,
Quelle farine j'entends je souhaite que le sage puisse dire;
Cuisez-les avec adresse, faites-les séjourner ensemble,
Et dans votre oeuvre ne soyez pas trop pressés,
Car l'épouse n'est pas le temps qu'elle est pâte.

Cette leçon apprise, permettez-moi de me divertir,
Je n'en serai que mieux disposé pour d'autres instructions,
Mon esprit se tourne, clair mécanisme, vers une autre voie;
Je n'aime pas étouffer les pensées douces et secrètes -
Vous le savez, l'enfant fait la mère,
Ainsi donc un enfant nous devons avoir,
Ou alors nous nous sommes abusés au sujet de la maternité.

Que direz-vous si une merveille je vous apprends,
Et démontre que la mère est enfant tout en étant mère?
N'allez-vous pas penser que je m'en vais
Vous duper avec des sottises comme font certains?
Serait-ce possible que la mère porte les souliers de l'enfant?
En toute bonne foi, c'est dans notre philosophie,
Et je le prouverai tout à l'heure.

Ripley commande de ne pas mener cela avec dédain,
Attendant patiemment l'authentique conjonction,
Car, dit-il, dans l'air notre enfant est né,
Là, il reçoit la sainte onction,
Et avec cela une fonction céleste,
Car après la mort il retourne à la vie,
Et cela tout plein de tout, à la fois époux, enfant, et femme.

Tant que tout est terre, l'on dit conception,
Et le temps de putréfaction est dit accouchement;
Parfaite conjonction (c'est ce qu'affirment les hommes de l'art),
L'enfantement de la femme d'où procède toute joie :
Qui ne sait cela a peu d'entendement ;
Lorsqu'elle est forte et brille joliment et magnifiquement,
Cela désigne l'épouse splendide à contempler.

Voilà; ainsi vous voyez que vous n'êtes point abusés!
Car, vous le remarquerez, j'ai prouvé par la raison
Comment il s'agit à la fois de la mère et de l'enfant,
Conception, gestation, enfantement, à chaque saison;
Je vous les ai proclamés sans trahison,
Ou sans parole équivoque et mensongère aucune,
Et si vous oeuvrez, vous vous apercevrez de cette vérité.

C'est véritablement ce Mercure essentiel
Qui est la principale fourniture de la Pierre,
Et pas ces grossiers amalgames récemment engendrés -
Ce ne sont que des Mercures superficiels;
Nous parlons de ce menstrue parfaitement tinctorial ;
C'est véritablement l'unique chose
D'où doive surgir tout bénéfice.

Si cela ne vous satisfait point, restez déçus de moi,
Car j'ai fini. Si la raison ne se manifeste pas,
Que dire sinon qu'il y en aura toujours pour douter?
Faites ce que vous pouvez lorsque la sottise est certaine de gagner;
Qu'il suffise que ce soit la parfaite base,
A savoir la Pierre devant être dissoute :
Comment cela se fait je m'en vais vous le dire.

C'est la Pierre que Ripley vous intime de vous procurer
(Car avant cela il n'est point de pierre) :
Soyez à mes ordres, n'oubliez point mes conseils,
Et il commande, délaissez les choses grossières,
Si l'on vous a octroyé la grâce d'éviter les lamentations.
Et restez fidèles à cela, ne laissez pas la fantaisie s'emparer de vous,
Laissez la raison gouverner, car la fantaisie vous trahirait.

Prenez donc cette Pierre, cette épouse, cet enfant, tout cela,
Qui sera gommeux, s'effritant, soyeux, mou;
Sur du verre ou du porphyre broyez-la finement,
Et, comme vous l'écrasez, nourrissez-la fréquemment de Mercure,
Mais pas au point que le Mercure la recouvre,
Et égalisez les parties, retirant leur semence qu'il convient de sauver;
Puis sont l'un dans l'autre inhumés dans leur tombeau.

Lorsque vous l'aurez là et ainsi, comme il est dit,
Oeuvrez en tous points comme Nature a fait la première,
De la noirceur vous ne devez point avoir peur,
Cela deviendra blanc, vous aurez alors passé le pire,
A moins que vous ne brisiez votre verre et soyez maudits;
Mais si vous marchez au travers des ténèbres vers la blancheur,
Cela sera et blanc et doux comme de l'amidon.

Cette même situation possède divers noms -
Comme imbibition, alimentation, sublimation,
Gravir de hautes montagnes, aussi des jeux d'enfants,
Et aussi justement nommée exaltation,
Lorsque tout n'est rien d'autre que circulation
Des quatre éléments, quel que soit le dit bruyant des sots,
Obtenue par chaleur appliquée à forme et matière.

La terre est le plus vil de tous les éléments,
Dont le noir est exalté dans l'eau;
Et alors nous ne l'appelons plus terre mais eau,
Quand bien même cela semble noire matière terrestre,
Qui en poussière noire tout autour s'éparpillera;
Et lorsque sera montée à hauteur de l'eau,
Là est-elle véritablement dite sublimée.

Lorsque cette masse noire est à nouveau devenue blanche,
A la fois dedans et dehors, comme neige, et brillant joliment,
Alors ce fils, cette épouse, ce ciel si clair,
Cette eau terre sublimée en air,
Lorsqu'elle est présente, il faut que de plus
Elle s'apprête dans l'élément feu;
Remercie alors Dieu de t'octroyer ce que tu désires.

Ce noir, ce blanc, nous appelons cela séparation,
Qui n'est point manuelle mais élémentaire;
Ce n'est pas simple sublimation mercurielle,
Mais véritable oeuvre consubstantielle de Nature;
Le blanc est nommé conjonction naturelle,
Parfaite et secrète conjonction, non grossière,
Qui amène profit, comme toute autre préjudice.

Lorsque par trois fois vous aurez tourné cette roue,
L'alimentant et l'oeuvrant comme j'ai dit,
Alors elle s'écoulera comme de la cire assurément,
Livrant une teinture qui ne s'évanouira pas,
Supportant toutes les épreuves possibles;
Si sagement vous la pouvez projeter et en disposer librement,
A la fois honneur et profit viendront à vous.

Votre médecine fixée et parfaitement s'écoulant,
Le blanc, pensez-vous, devrait augmenter en blancheur,
Ainsi le rouge engendre le rouge, comme la graine dans la semaille
Engendre son double, ou ainsi qu'il se fait chez les bêtes,
Et le feu doit être le véritable faiseur de paix,
Car ferment rouge ou blanc votre médecine s'accroît,
Et parfaitement teinte et bientôt s'adoucit.

C'est-à-dire, votre médecine achevée,
Si blanche, fondez de l'argent et dessus projetez-la,
Si rouge, fondez du soleil, car elle y est destinée,
Le même et le même en aucune manière ne se rejettent;
Et à la vue de son aspect des plus purs vous l'élirez :
Une part de médecine pour dix de ferment -
Une seule pour un millier de Jupiter.

Votre Jupiter rougit sur le feu,
Dès que votre médecine sur lui est jetée,
Devient bientôt comme du fil métallique,
Car alors il est fixé et fondu par feu,
Et de tous tes travaux, celui-ci est le dernier;
Puis, que par réactif ou eau-forte ce soit testé,
Le meilleur or, le meilleur argent, jamais n'endureront autant.

Grossier Mercure chauffé dans un creuset
S'endurcit bientôt comme de l'argent détrempé,
Et sur le sublime trône de la Lune est établi.
Argent ou or comme médecine a scellé,
Et ainsi notre grand secret j'ai révélé,
Que plusieurs ont vu, et moi-même oeuvré,
Et grandement je le chéris, tout en le donnant gratis.

FINIS. - E.K.

 

 

SIR ED. KELLEY
AU SUJET DE LA PIERRE PHILOSOPHALE

Rédigé tout spécialement à l'intention
de son bon ami, G. S. Bent

La voûte céleste porte en elle fleur de la nature -
Deux fois cachée, mais le support est visible :
En lequel tous les spermes des corps inférieurs
Sont très secrets, bien que jaillissant une fois l'an;
Et comme la terre avec l'eau sont les causes,
De sa part il n'y a qu'aridité insouciante.

Pas de plus grand torrent que celui qui coule tranquille,
Rien de plus fixe que la terre trois fois digérée,
Aucun vent plus frais que celui au service de sa volonté,
Aucun profit de plus, alors entretiens cela et sois sage;
Aucune meilleure fortune, alors sèche l'air en poussière,
Car après tu peux t'arrêter et dormir tout ton soûl.

Je t'avertis cependant, afin qu'échouer tu évites,
Sublime d'abord ton coeur avec eau puante;
Puis en un endroit dont Phoebus dit seulement
Qu'on le voit à midi, assure-toi que tu mélanges parfaitement;
Car rien ne brille qui ne veuille sa lumière,
Aucun pourpoint ne rayonne avant que lui ne soit éclatant.

Ne laisse aucun homme te guider s'il ne sait la voie
Qu'enseignent les sages, et où mène Adrop,
Dont la première est vaste et aisée prière,
L'autre ardue et humble mais au commencement;
Car sûrement celles-là et aucune autre l'on entendra
Là où Apollon pince les cordes de sa harpe.

L'exemple instruit de Dieu qui plâtre les cieux,
Reflétant les vertus de tous les détails,
Dans lesquels le mobile, en qui sont toutes choses placées,
Tient toutes les vertus en toute articulation,
Et donc l'essence cinquième peut vraiment être dite
Tout contenir et cependant être vierge.

Souviens-toi aussi de comment les Dieux débutèrent,
Et de comment se succédant l'un était le père de l'autre;
Puis étudie leurs vies et royaumes si tu le peux,
Aussi leurs moeurs, et tous leurs atours,
Et si cela tu fais en sachant à quelle fin,
L'érudite Sophia ne te rejettera point.

Si cela ma doctrine ne s'accorde pas avec ton cerveau,
Alors je ne dirai rien bien que j'en ai dit trop;
A vrai dire c'est bon vouloir, et non appât du gain,
Qui m'incita à écrire ces lignes, quoique je n'écrive point pour ceux
Qui se saisissent de pommes sauvages lorsque meilleurs fruits apparaissent,
Et se demandent quoi choisir à la meilleure époque de l'année.

Tu peux (mon ami) dire : qu'est ce savoir?
Je répondrai que c'est ce qu'enseignait l'antique médecine,
Et bien qu'un millier de livres avant tu aies lus,
Il se trouve qu'à côté de ceci ils ne t'enseignent rien :
Tu peux aussi bien être aveugle et me dire fou,
Mais ces règles à jamais glorifieront leurs disciples.

 

 

A ces très curieux échantillons d'Alchimie en vers, peut-être est-il intéressant d'ajouter l'un des plus brefs traités ayant été attribués à Saint Dunstan. Le seul critère de sélection des expériences suivantes a été la brièveté.

 

SAINT DUNSTAN :
DE LA PIERRE DES PHILOSOPHES

I

Prends de la meilleure minière d'or rouge clair, autant que tu peux t'en procurer, et extrais son esprit au moyen d'une cornue : c'est l'Azoth et l'Acetum des Philosophes, tiré de la minière adéquate, épanouissant radicalement le Soleil préparé.

II

Prends de la minière de Vénus ou Saturne, et chasse leur esprit dans une cornue; chacun d'eux dissout radicalement l'or, après sa purification.

III

Prends de la minière de Saturne pulvérisé, ou du Saturne vulgaire calciné; extrais son sel avec de l'Acetum ou son antinae; purifie-le de la meilleure manière, qu'il devienne transparent comme le cristal, et doux comme le miel, et coulant comme de la cire devant la chaleur, et cassant lorsque froid. Il s'agit de l'arbre qui est coupé, dont les fruits sont malsains, sur lequel doivent être greffées les branches du Soleil.

IV

Prends de cette terre qu'on trouve en friche dans les champs, partout présente dans les terrains marécageux, dans laquelle les astraux éjaculent leurs opérations, parée de toute espèce de couleurs, se présentant comme un arc-en-ciel; extrais d'elle ce qui est le plus pur et le plus subtil. Ceci est le dissolvant universel s'appliquant à tout; et est tout dans tout.

V

Prends de la minière du Soleil et de Mercure en quantité égale; broie-les finement; verse dessus l'esprit de Mercure, qu'il le recouvre d'une hauteur de trois doigts. Dissous et digère à faible chaleur.

VI

Prends du meilleur vitriol, ou du vitriol de Vénus; et chasse leur esprit dans une cornue, blanc et rouge. Avec cet esprit rouge, une fois rectifié et épuré, tu peux fermenter et imbiber la subtile chaux d'or, et avec l'esprit blanc tu la pourras dissoudre une fois qu'elle aura été purifiée.

VII

Prends du Mercure vif; purifie-le et dissous-le dans de l'esprit de vin alcoolisé jusqu'à ce que son impureté soit séparée de lui, et qu'il devienne son essence extrême, transparente, paisible et fluide, semblable au blanc gluten de l'aigle, et à même de recevoir le sang du Lion Rouge.

VIII

Extrais le sel du tartre brut et calciné; purifie-le et clarifie-le souvent, jusqu'à ce qu'il devienne aussi clair que larme à l'oeil et ne puisse être porté à un stade supérieur; tu pourras aiguiser avec son propre esprit de vin, qui dissout Soleil et Lune.

IX

Prends de la matière ou pierre violemment toxique, nommée "kerg swaden", dépouilles, ou gangues des métaux; extrais son esprit avec grande circonspection; recueille-le de sorte qu'il puisse devenir eau, il réduit tous les métaux jusqu'à les rendre potables.

X

Prends de l'air ou de la rosée céleste, étant bien purifiée, dix parties, et de subtile chaux d'or une partie; soumets-la à la digestion, dissous, et coagule.

XI

Prends l'urine d'un homme sain, ne buvant que du vin ; et, conformément à l'art, fais de cela le sel du microcosme; purifie-le comme il faut, ce qui doit aiguiser l'esprit de vin au point qu'il dissolve le Soleil en un instant.

XII

Prends ce qu'il y a de mieux en minière d'or; pulvérise-la comme il faut; scelle-la du sceau d'Hermès; soumets-la au feu vaporeux jusqu'à la voir croître comme rose blanche et rouge.

XIII

Par cette dernière expérience il appelle la Lumière. Prends, au nom du Seigneur, de l'or Hongrois, qui aura été par trois fois fondu via l'antimoine et aura été laminé en très fines tranches, en quelque quantité que tu voudras, et fais un amalgame avec du Mercure vif; puis calcine le tout très subtilement, avec fleurs de soufre et esprit de vin brûlé, jusqu'à ce qu'il en reste une subtile chaux d'or de couleur pourpre. Prends-en une part, prends deux parts de la substance rouge déjà mentionnée; broie le tout très finement une heure sur du marbre chauffé; puis cémente et calcine bien par degrés durant trois heures dans une enceinte de feu. Ce travail doit être répété trois fois; verse alors dessus le meilleur esprit rectifié, qu'il le recouvre d'une hauteur de trois doigts; dispose-le en douce et chaude digestion, durant six jours afin qu'il y ait extraction; alors l'esprit de vin sera d'une teinte aussi foncée que le sang; détourne cette teinture, et verse-en d'autres dessus aussi longtemps qu'elle teintera; dispose tous ces esprits de vin teints dans une fiole, n'en remplissant qu'un quart, et scelle-la hermétiquement; dispose sur le feu vaporeux du premier degré; que sa chaleur soit pareille à celle du soleil rayonnant du mois de juillet; laisse les choses ainsi durant quarante jours - et alors tu obtiendras ce que tu désires.

 

L'auteur recommande très fortement cette dernière expérience, affirmant d'après sa pratique expérimentale que cet Aurum Potabile est la médecine la plus proche de la médecine universelle, et, qu'étant consommée dans les véhicules adéquats, elle guérit toutes les maladies sans causer aucune souffrance.

En outre. - Avec cet Aurum Potabile est préparé l'Antimoine, de sorte qu'il purifie de haut en bas, et expulse toutes humeurs pernicieuses sans inconvénient aucun, et est nommé or qui purge.

A l'aide de cet antimoine on en fait également de l'or diaphorétique, chassant par la transpiration toutes les humeurs malignes; et l'on fait également du Mercurius Vitae avec cet Or Potable (s'il est maintenu en digestion prolongée); le dosage dépend de la nature de la personne.


 

III

LES ROSICRUCIENS ET LE DOCTEUR DEE

Il est clair, d'après la première partie de cette préface, que le Docteur Dee a été populairement considéré comme un alchimiste avec la même lucidité présidant à sa perception comme magicien. Il est certain qu'il avait des notions de chimie avant de lier connaissance avec Kelly, et nous avons vu qu'il mena une phénoménale série d'expériences portant sur la lucidité artificielle par l'entremise de son célèbre cristal; mais d'une part il n'était pas alchimiste et de l'autre ne traitait pas avec les démons et n'était point nécromancien. C'était en fait un érudit, un philosophe des mathématiques, absorbé dans une certaine mesure par la physique et la métaphysique de la tradition Hermétique. Notons qu'il ne laissa aucun écrit sur l'Alchimie, et il est nécessaire d'insister sur cette question car une hypothèse a été récemment émise à laquelle il n'est pas inutile de régler son compte en ces pages. L'on a avancé que le Docteur Dee était en réalité le fondateur et le chef de la mystérieuse Fraternité Rosicrucienne, qui manifesta publiquement son existence une vingtaine d'années après la mort d'Edward Kelly mais prétendait s'être constituée bien antérieurement. Le philosophe de Mortlake pourrait-il prétendre à cette distinction, il serait alors raisonnablement évident que son compagnon doive partager avec lui le privilège d'avoir donné naissance à l'un des plus curieux mystères historiques. Ceci dit, l'on sait pertinemment que, écartant les personnes imaginatives se persuadant que les Rosicruciens, comme la Fraternité Maçonnique, remontent à la période du Déluge, et auraient propagé l'inexplicable et l'extravagant à toutes les époques et sous tous les cieux - les écartant donc, il est passablement bien connu que les investigateurs du mystère Rosicrucien ont cherché de tous côtés quelqu'un à qui en attribuer la paternité. En conséquence, rares sont les mystiques de cette période ayant échappé à leur suspicion. Jusqu'à ces derniers temps, le Docteur Dee - que ce soit en raison de fréquentations désagréables ou parce qu'il se situe un peu trop tôt dans le temps - bénéficiait d'une totale immunité; son tour est cependant venu, et pour un temps il sembla certain qu'il était la partie solvable. Parmi les textes inédits du Docteur Dee, certains de ses biographes ont inclu un manuscrit conservé à la bibliothèque du British Museum, et consacré à l'élucidation de certains arcanes Rosicruciens. Il y fut inclu sur la foi du manuscrit lui-même, qui revendique sa paternité, mais les biographes ne savaient rien du problème Rosicrucien, et il fut admis sans examen ni vérification. Toutefois, de nos jours, les gens sont suffisamment instruits pour réaliser que si ce manuscrit doit réellement être attribué à l'auteur de la Monas Hieroglyphica, les Rosicruciens étaient alors clairement en évidence des années avant la publication de leurs manifestes, et ils en ont logiquement conclu que c'est Dee, comme premier interprète de leur doctrine, qu'il faut retenir comme probable fondateur de la Fraternité, et c'est en effet la dernière hypothèse en date visant à résoudre le problème. Le manuscrit se compose de 501 folios, magnifiquement rédigés, et illustrés de quelques symboles alchimiques, sceaux Hermétiques, etc. L'examen le plus superficiel prouve qu'en tout cas il ne s'agit pas d'un document autographe, car le titre fleuronné porte dans un enjolivement la date du 12 mars 1713 (18). Il est néanmoins possible de le considérer comme la transcription d'un original perdu; et la seule critique pouvant démolir cette hypothèse, et prouver l'imposture pratiquée, demanderait une connaissance hors du commun des littératures Rosicrucienne et alchimique. L'oeuvre se divise en trois parties, dont la première est alchimique et médicale. Elle décrit les Rosicruciens comme étant sans aucun doute la plus sage des "nations", et soutient que leur ordre contemplatif a "présenté au monde les anges, les esprits, les planètes, et les métaux, avec les temps en astronomie et géomancie pour les préparer et unir télesmatiquement". Il cite Sendivogius et Ripley, Sir Christopher Heydon, etc. Page 201, l'on trouve un "Procédé relatif à l'oeuvre Philosophique du Vitriol", avec la note marginale qui suit : - "Procédé que le Docteur Dee a reçu du Docteur R. et couché par écrit dans une lettre du 19 octobre 1605". Il n'y a rien dans le texte indiquant qu'il s'agisse d'une communication. Il est écrit, comme le reste de l'oeuvre, principalement à la première personne, mais fait preuve de lacunes pour ce qui est de l'impératif et des pluriels. Les passages attribuant l'intégralité du traité au Docteur Dee sont tout à fait marginaux jusqu'au folio 352 (b), où l'on peut lire ce qui suit : - "Pour conclure ces secrets, j'insérerai ici la lettre du Docteur John Frederick Helvetius au Docteur Dee. Comment en moins d'un quart d'heure, par une infime partie de la Pierre Philosophale, fut transmuté un gros morceau de plomb ordinaire en le plus pur or resplendissant. Par Élie Artiste". Mais l'Élie Artiste en question était le mystérieux adepte qui donna la poudre de projection à Helvétius (19). La seconde partie du manuscrit se veut une explication alphabétique de certains mots difficiles à comprendre dans les écrits du Docteur Dee. La troisième contient une apologie méthodique des doctrines Rosicruciennes, ainsi qu'une explication des principes guidant la Fraternité. Nous admettrons volontiers que le manuscrit dans son ensemble soit conçu pour tromper quiconque n'est pas un spécialiste bien outillé ; c'est de fait une très curieuse contrefaçon, d'autant plus difficile à expliquer par son absence de motif valable. Un examen critique de la première partie révèle qu'elle n'est rien d'autre qu'une adaptation de "Elharvareuna, or Rosicrucian Medicines of Metals" de John Heydon, dont le texte se compose d'un dialogue censé survenir entre Eugenius Philalethes (i.e., Thomas Vaughan) et Eugenius Theodidactus (i.e., Heydon lui-même). Il fut imprimé pour la première fois en 1665. On ne peut rattacher avec exactitude la seconde partie à quelque oeuvre publiée que ce soit, mais il y a une grande diversité de lexiques alchimiques dont il n'est probablement qu'un abrégé; il est dans tous les cas absolument certain que les mots qu'il entreprend d'expliciter ne figurent aucunement dans les écrits qui nous restent du Docteur Dee. La troisième partie du manuscrit est la traduction et adaptation de la Themis Aurea de Michael Maier, parue en 1618.

En dehors de la prétention désormais discréditée de cette extraordinaire imposture, il n'y a aucune raison de rattacher le philosophe de Mortlake de près ou de loin aux Rosicruciens. En même temps, ce n'était pas franchir les limites raisonnables de cette notice biographique que brièvement examiner les témoignages avancés sur la question car, si l'on pouvait prouver que Dee fut Rosicrucien, il est à peu près certain que Kelly, son inséparable aussi bien que son inspirateur en Alchimie, aurait lui aussi été membre de la même fraternité. Et un Kelly d'obédience Rosicrucienne, intimement lié au fondateur de l'ordre, posséderait indubitablement plus d'intérêt que le seul "voyant" du Docteur Dee, sans préjudice du philosophe de Mortlake ou du possesseur de la poudre de Saint Dunstan.

 

ARTHUR EDWARD WAITE


NOTES

(l) Athenae Oxoniensis, éd. 1813, pp. 639-643.

(2) Le secrétaire temporaire (Wood) de Thomas Allen, à Gloucester Hall, affirma que Kelly passa quelque temps dans cette demeure.

(3) Environ 35 miles séparent Glastonbury de la plus proche partie de la Galles du Sud.

(4) L'Alchimie et les Alchimistes. Troisième édition, Paris, 1860, p. 232, et seq.

(5) Il s'agit d'une insinuation visant à confirmer l'accusation contre Kelly, d'après laquelle il aurait été impliqué dans l'élaboration frauduleuse d'anciens documents légaux.

(6) Hors de l'imagination de monsieur Figuier, il n'y a aucune raison de supposer que le manuscrit fut rédigé en gallois.

(7) Figuier observe qu'il était dénué de la plus élémentaire notion de chimie ou de philosophie transmutatoire, mais pour lors Figuier était un Français puisant largement à ces sources intérieures économisant la recherche sur documents.

(8) History and Antiquities of Worcester, 2 vols., Londres, 1781, etc., Fol.

(9) Il existe énormément de documents relatifs à la vie du Docteur Dee, exploités de si imparfaite manière que la biographie de cet homme singulier n'a point encore été réellement écrite. Les ayant consultés dans la mesure du possible pour les besoins de cette préface, ils n'amènent aucune lumière sur ce point discutable. Les Autobiographical Tracts of Dr. John Dee, Warden of the College of Manchester, édités par Mr. James Crossley, furent imprimés pour la Chetham Society en 1851, mais ils ne contiennent aucune référence à Edward Kelly, pas plus qu'à d'éventuelles expériences Alchimiques. En répudiant les pratiques magiques qui lui étaient imputées, il mentionne certaines "fausses informations répandues par George Ferrys et Prideaux, d'après lesquelles j'aurais tenté de détruire la Reine Mary par certains charmes", ce pour quoi il fut emprisonné à Hampton Court, "durant la semaine précédant immédiatement la Pentecôte où sa Majesté (i.e., la reine Élizabeth, avant son avènement) s'y trouva également prisonnière." Il existe aussi une brochure suscitée par l'accusation selon laquelle il était "un conjureur, un appeleur de diables, quelqu'un d'actif dans ce domaine, et d'ailleurs (d'après certains) l'archi-conjureur du royaume tout entier." A ce sujet, il affirme qu'il s'agit "d'une odieuse médisance, à tous les niveaux, comme il apparaîtra (devant le Roi des Rois) au jour terrible." Mais, comme Halliwell le remarque à juste titre, le Compendious Rehearsall fut "rédigé dans un but bien précis, pour la lecture des commissaires royaux, et il y a bien évidemment évité toute allusion pouvant être interprétée de manière défavorable. Toutefois, dans l'autre (i.e., le Private Diary), il nous parle de ses rêves, de bruits mystérieux dans sa chambre, d'esprits mauvais, et fait allusion à divers secrets de la philosophie occulte avec l'entrain d'un authentique partisan." Le Private Diary of Dr. John Dee, and the Catalogue of his Library of Manuscripts fut édité par James Orchard Halliwell, F.R.S., pour le compte de la Camden Society en 1842. Le nom de Talbot est mentionné, s.v., le 9 mars 1582, et réapparaît une ou deux fois ultérieurement, mais il ne semble y avoir aucune raison de l'identifier à celui d'Edward Kelly, dont les initiales ne sont pas mentionnées avant le 22 novembre 1582, où l'on peut lire la brève note qui suit : "E.K. vint à Londres, et le jour suivant s'achemina par route vers Blakley, et sera de retour dans les dix jours."

(10) Le Private Diary s'arrête le 21 septembre 1583 pour reprendre en juillet 1586 avec le récit d'une transmutation effectuée par Kelly durant leur séjour à l'étranger.

(11) "10 mai 1588. E.K. m'a révélé le grand secret, Dieu en soit remercié." Encore : "24 août 1580. Vidi divinam aquam demonstratione magnifici domini et amici mei incomparabilis, D. Ed. Kellei ante meridiem tertia hora." Et encore : "14 décembre. Mr. Edward Kelly m'a donné l'eau, la terre, et tout."

(12) Disraeli, dans ses Amenities of Literature, observe que "la mascarade de ses entités spirituelles était vraiment remarquable par son aspect fantastiquement minutieux."

(13) En juin 1583, un arrêt fut prononcé contre lui pour avoir frappé de la monnaie, ce dont son compagnon le déclara innocent. Que ceci soit une conséquence de certaines expériences Alchimiques n'est pas apparent, mais, dans tous les cas, l'accusation semble avoir été dénuée de fondement ou ne pas avoir mené loin, car n'apparaissent pas d'ennuis ultérieurs dont elle serait à l'origine. L'accusation de nécromancie peut avoir quelque fondement, et dans ce cas, quel que soit l'odieux caractère moral qu'on lui puisse attribuer relativement à ce point, cela tend quelque part à prouver que dans les questions occultes il agissait de bonne foi et croyait en l'efficacité de ces procédés magiques dont la cristallomancie faisait partie. La source première de l'accusation semble être le livre de John Weever, Discourse of Ancient Funereal Monuments, Londres, 1631, fol., pp. 45-46, où il est dit qu'à l'aide d'incantations il obligea un pauvre enterré dans la cour attenante à Law Church, près de Wotton-in-the-Dale, à quitter sa tombe (il n'est pas question ici d'exhumation du corps mais d'évocation de l'esprit du défunt) ainsi qu'à répondre aux questions qu'il lui posa. Une lettre originale adressée à Wood et signée "Anonymous Philomusus", conservée dans le fonds Tanner de la Bodleian Library, affirme que la source de Weever était complice de Kelly à l'époque de ce compte rendu. Du fait que toutes les sortes de magie étaient alors communément regardées comme d'extraction Satanique, il est bien sûr évident que de ce point de vue Kelly avait commerce avec les mauvais esprits. A ce propos, il est une citation intéressante dans le Diary of Doctor Dee : "13 avril 1584, circa, 3 horam. Après une brève prière par moi adressée au Christ afin que sagesse et vérité soient administrées par Nalvage (i.e., l'un des esprits du cristal), il apparut et parla longuement à E.K., lequel resta d'abord muet sur ce point mais finit par me confesser longuement qu'il lui avait fraternellement conseillé de cesser de se comporter comme un idolâtre et un fornicateur contre Dieu, en demandant conseil à qui il avait demandé." Sur ce, "E.K. confessa qu'il avait eu commerce avec le diable." De quelque manière qu'on entende cet aveu, le genre de calomnies qu'il engendra peut être compris à la lumière d'un passage de Sibley's Illustration of the Occult Sciences, oeuvre d'une personne croyant profondément dans l'astrologie et la magie.
"Edward Kelly était également un célèbre magicien, et le compagnon et associé du Dr. Dee dans la plupart de ses exploits et explorations magiques : ayant été mis à l'unisson de ce dernier (comme l'affirme le Docteur lui-même dans la préface de son ouvrage portant sur le ministère des esprits) par le biais de l'ange Uriel. Mais le Docteur Dee fut incontestablement abusé dans son opinion d'après laquelle les esprits le servant exécutaient la Divine volonté et étaient des messagers et serviteurs de la Déité. Partout dans ses écrits sur le sujet, il les considère manifestement sous cet angle; ce qui est encore plus incontestablement confirmé par la piété et la dévotion dont il fait invariablement preuve à chaque fois que ces esprits entrent en relation avec lui. De plus, lorsqu'il s'aperçut que son adjoint Kelly se dégradait au contact des plus basses et pires espèces d'art magique, à des fins de fraude et de profit avaricieux, il rompit toute relation avec lui, et ne voulut plus être vu en sa compagnie. Et l'on pense que le docteur, peu avant sa mort, devint conscient de ce que ces agents invisibles l'avaient trompé, et que leur prétention à agir sous les auspices de l'ange Uriel, pour l'honneur et la gloire de Dieu, n'était qu'hypocrisie et illusion du diable. Kelly, ainsi rejeté et décontenancé par le Docteur, s'adonna alors aux plus viles et abjectes pratiques de l'art magique; lesquelles semblent avoir eu pour principaux buts l'argent et les oeuvres diaboliques. On a rapporté sur lui bien des choses perverses et abominables, réalisées par sorcellerie et grâce aux esprits infernaux; mais rien de plus attenant à notre présent sujet que ce qui est mentionné par Weaver dans son 'Funereal Monuments'. Celui-ci raconte que Kelly, le Magicien, ainsi qu'un certain Paul Waring, qui l'assistait comme compagnon et associé dans toutes ses conjurations, se rendirent tous deux au cimetière de Walton Ledale, dans la province de Lancaster, sachant qu'une des personnes inhumées était supposée avoir caché ou enterré une considérable somme d'argent, et était morte sans avoir révélé où à quiconque. Ils entrèrent à minuit pile dans le cimetière, et la tombe leur ayant été indiquée le jour précédent, ils conjurèrent l'esprit du défunt par des charmes magiques et incantations, jusqu'à ce qu'il apparut devant eux, et non seulement satisfasse leurs désirs pervers et iniquités mais délivre également de curieuses prophéties concernant des personnes du voisinage, lesquelles furent très exactement et littéralement accomplies. Il fut vulgairement rapporté que Kelly, ayant passé le temps que lui assignait son pacte avec le diable, fut saisi à minuit par certains esprits infernaux qui l'emportèrent hors de la vue de sa femme et de ses enfants, à l'instant où il ourdissait un dessein pernicieux contre le pasteur de sa paroisse, avec lequel il était en grande inimitié." - Ce récit est tout simplement un tissu de mensonges, non seulement en ce qui concerne les relations entre Dee et Kelly, mais également au sujet de l'endroit et de la manière dont mourut l'alchimiste. De plus, Kelly ne semble pas avoir eu de progéniture.

(14) Dans le Private Diary, à la date du 1er mai, nous lisons la déclaration suivante : - Albertus Laski, Polonus, Palatinus Scradensis, venit Londinem. Comparez avec le manuscrit Donce 363, fol. 125. "L'année de notre Seigneur Dieu 1583, le dernier jour d'avril, le Duc ou Prince de Vascos, en Pologne, vint à Londres et fut logé à Winchester House." C'est à sept heures et demie du soir, le 13 mai, que Dee fit sa connaissance. Il devint un hôte fréquent, voire quotidien. Les Autobiographical Tracts édités par la Chetham Society recèlent l'information suivante : "Sa Majesté (An. 1583, Julii ultimus) étant informée par le très honorable Comte de Leicester, attendu que le même jour au matin il m'affirma que son honneur et le Seigneur Laski dîneraient avec moi avant deux jours, je lui confessai sincèrement que je n'étais pas en mesure de leur préparer un dîner correct, à moins qu'à cette fin je ne vende sur l'heure une partie de mon orfèvrerie ou de ma vaisselle d'étain, etc."

(15) Le seul témoignage trouvable de Gassendi est contenu dans le De Rebus Terrenis Inanimis, Lib. III., c. VI., Lugduni Batavorum, fol. 1658, vol. 2, p. 143. "Deinde manifesta sunt genera varia imposturarum, quibus versutiores fumivenduli illudere solent non modo simplicioribus, sed nonullis etiam ex iis, qui se putant oculatories (il a déjà parlé de la crédulité des partisans, plus spécialement au sujet des "faux" de la littérature alchimique), dum nempe non satis attendunt ad conditionem aut operantis, aut manus opus peragentis, etc., etc." Telle est la préface à la référence : - "obque asservatam, ut memorant, Pragae intra Thaddaei Haggicii aedeis Mercurii libram in aurum conversam, infusa a Kelleio Anglo unicâ liquoris rubicundissimâ guttulâ, cujus adhus vestigium sit, qua parte facta fuit infusio." Ce n'est sûrement pas un témoignage de Gassendi.

(16) Il semble certain que le Dr. Dee se souvenait de Kelly avec une certaine affection. Longtemps après son retour en Angleterre, à la date du 18 mars 1595, l'on trouve ce passage dans l'un de ses journaux : "Mr. Francis Garland vint me rendre visite ce matin, et nous avons tous deux longuement conversé au sujet de Sir Edward Kelly."

(17) "John Weever affirme que la Reine Élizabeth envoya en grand secret le Capitaine Peter Gwinne et quelques autres persuader Kelly de regagner son pays natal. Voulant franchir un mur de sa propre maison à Prague, il serait tombé, etc... L'on dit que sa maison porta son nom jusqu'à aujourd'hui, et qu'autrefois c'était un antique sanctuaire." Athenae Oxoniensis.

(18) Il n'y a pas de page de titre distincte. A droite de la marge supérieure, on trouve la devise : Qui vult secreta scire, debet secreta secrete custodire, et à gauche, "Le Premier Feuillet du Docteur Dee", qu'on retrouve comme en-tête tout le long de la première partie, après quoi commence une nouvelle pagination avec la seconde.

(19) Voir John Frederick Helvetius' Golden Calf, traduit in The Hermetic Museum, Vol. II., p. 271, etc. Cette transmutation historique se produisit fin 1666, soit près de cinquante ans après la mort du Docteur Dee.